Documentaire « 13th » : les origines de la discrimination des Noirs aux États-Unis.

A travers ce documentaire, la réalisatrice Ava DuVernay revient sur les fondements du racisme aux Etats-Unis, principalement dans le système judiciaire. Posant, par la même occasion, à la fois la question de la surreprésentation des Afro-américains en prison ainsi que le remplacement de l’esclavage par l’incarcération de masse.

Le titre « 13th » fait référence au 13ème amendement de la constitution des États-Unis, depuis sa ratification en décembre 1865 jusqu’à nos jours. Si comme moi, votre regard manque de complaisance sur les Etats-Unis, après avoir vu ce documentaire, vous serez encore plus écœurés.

Pour expliquer les chiffres de la surpopulation carcérale, mais surtout de l’incarcération massive des Afro-américains, la réalisatrice fait appel à de nombreux historiens et sociologues qui remontent le temps d’une manière très pédagogique. Très accessible même aux plus jeunes, pour peu que la ségrégation les intéresse. Mon fils de 13 ans a vraiment apprécié le processus que la réalisatrice essaie de décortiquer à travers plusieurs décennies.

Le documentaire part du constat qu’un Afro-américain naît avec une chance sur trois de se retrouver en prison. Ce processus de criminalisation des Noirs, est amorcé à la fin de l’abolition de l’esclavage, en 1865, acté par le 13ème amendement de la Constitution. En effet, le 13ème amendement, octroie la liberté à tous les citoyens américains, sauf à ceux qui commettraient des crimes. Cette clause, qualifiée de « faille » dans le documentaire, a permis l’incarcération de milliers de Noirs, notamment lors de l’abolition de l’esclavage. Plus les images défilent, plus les analyses passent, plus on comprend que le système économique du sud du pays, qui jusque-là reposait sur les 4 millions d’esclaves, s’est vite aperçu qu’il avait « besoin du travail des Noirs ».

Pour remédier au besoin de main d’œuvre, après la guerre de Sécession, les Noirs sont arrêtés en masse « pour des délits tout à faits mineurs, comme le vagabondage , selon Michelle Alexander, auteure du livre « La Couleur de la justice : incarcération de masse et nouvelle ségrégation raciale aux États-Unis » et défenseure des droits civiques :

il y a plus d’adultes africains-américains sous-mains de justice aujourd’hui (en prison, en mise à l’épreuve ou en liberté conditionnelle) qu’il n’y en avait réduits en esclavage en 1850. L’incarcération en masse des personnes de couleur est, pour une grande part, la raison pour laquelle un enfant noir qui naît aujourd’hui a moins de chances d’être élevé par ses deux parents qu’un enfant noir né à l’époque de l’esclavage.

Ainsi qualifiés de « criminels », ils perdaient non seulement leur liberté, mais surtout le statut de citoyens et étaient contraints de travailler à nouveau pour l’économie du Sud. Les prisonniers américains sont un vrai levier pour certaines sociétés, qui font l’économie des salaires et s’enrichissent. Le documentaire d’ailleurs, n’hésite pas à citer celles qui le font et autant vous dire que vous aurez des surprises…

Jelani Cobb, professeur d’études américaines, explique qu’en parallèle de ce « boom carcéral », la représentation des Noirs dans la culture, est passée du noir sympathique, à celle du noir menaçant et prédateur, que la société devrait bannir.

Le film « Birth of a Nation », sorti en 1915 représente les Noirs : « Comme des animaux, des sauvages, des cannibales, c’était l’image du mâle noir américain », selon l’historien Henry Louis Gates, tout en décrivant de manière positive le Ku Klux Klan… On a du mal à s’imaginer qu’un film puisse faire autant de dégâts, mais couplé à toutes les autres dérives, il restera dans la mémoire collective, même de façon inconsciente…

Ces représentations s’ancrent dans les mentalités, conduisant aussi bien, à des lynchages, qu’à des mises à mort, souvent sur le simple soupçon. Les « lois Jim Crow » : série d’arrêtés et de règlements promulgués dans les États du Sud entre 1876 et 1965, constituaient l’un des éléments majeurs de la ségrégation raciale aux États-Unis, distinguaient les citoyens selon leur appartenance raciale et, tout en admettant leur égalité de droit, elles imposèrent une ségrégation de droit imposant la séparation des Blancs et des Noirs dans les écoles, dans les lieux et services publics notamment les trains ou les bus.

Les militants pour les droits civiques, notamment Martin Luther King, sont alors qualifiés de « criminels » par certains politiciens et médias de l’époque « parce qu’ils violaient délibérément les lois sur la ségrégation dans le sud ».

Malgré la signature en 1964, du Civil Rights Act qui déclare illégale la discrimination reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe, ou l’origine nationale, l’ère Nixon creusera encore plus le faussé, la lutte contre le crime, « une guerre contre le mal qui ronge nos ville », les drogues, mettrait encore plus les Noirs dans le viseur. Il scande ce fameux « Law and order » (la loi et l’ordre)… Tiens, c’est bizarre, j’ai comme la sensation d’un écho qui a traversé des décennies pour atterrir il y a quelques jours dans la bouche de Donald Trump….

Quelques années plus tard, John Ehrlichman, conseiller de Nixon, reconnaîtra que cette guerre contre la drogue visait à envoyer des Noirs en prison.

Sous l’ère Reagan « la guerre contre les drogues » s’intensifie, stigmatisant, davantage les populations les plus pauvres parmi lesquelles les Noirs et les Hispaniques. Les Afro-américains sont représentés dans les médias comme des criminels ou des « super prédateurs ».

Toutes ces décisions ont façonné la société américaine, dans ce qu’elle a de plus profondément ancré. Selon Malika Cyril à la tête du centre pour la justice dans les médias

« On a éduqué délibérément une population pendant des décennies pour qu’elle croie que les Noirs sont des criminels. Et je ne dis pas qu’il n’y a que seuls les Blancs le pensent, des Noirs le pensent aussi et sont terrifiés par leur propre nature »

Ce qui n’est pas du tout comparable à ce qui se passe en Europe, particulièrement en France.

Avec son documentaire, Ava duVernay voulait mettre l’accent sur cette continuité historique pour tenter de comprendre, mais surtout pour se défaire de ce racisme larvé.

Ce documentaire disponible sur Netflix, mais également sur YouTube, n’a jamais eu un écho aussi important que ces derniers jours. Le 25 mai dernier, Georges Floyd, mourrait à Minneapolis, sous le genou d’un policier blanc, aujourd’hui poursuivi pour meurtre au 3ème degré.

Ave DuVernay, née le 24 août 1972 à Long Beach (Californie), est une distributrice de films, réalisatrice, productrice et scénariste américaine. Elle a été révélée par le cinéma indépendant.

En 2012, elle s’impose en devenant la première femme afro-américaine à recevoir le prix du meilleur réalisateur au Festival du film de Sundance pour Middle of Nowhere.

En 2015, elle est la première réalisatrice afro-américaine nommée aux Golden Globe du meilleur réalisateur pour le drame « Selma », qui retrace la lutte historique de Martin Luther King pour garantir le droit de vote à tous les citoyens. En 2016, elle réalise le 13ème, documentaire qui explore les liens entre la race, la justice et l’incarcération de masse aux États-Unis, plébiscité par les critiques, il lui vaut un Peabody Awards. En 2019, elle confirme son talent avec la mini-série de la plateforme Netflix, »Dans leur regard« .



Catégories :documentaire

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16 réponses

  1. Très belle et touchante chronique sur un problème récurrent aux Etats-unis. Je me pose des questions car des îlots de liberté existent comme ce film mais les médias sont globalement sous la coupe de multinationales dont il n’y a rien à espérer. Hors Netflix se banalise, Amazon gagne de nouvelles positions, éloignant une espérance de démocratie qui fuie ce grand pays corrompu. Merci et belle journée

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    • Merci beaucoup 🙂 Il faut au contraire, chacun à son niveau éduquer, partager des documentaires de ce genre, pour construire un demain meilleur. Ce sont les générations futures qui ont le changement entre leurs mains. Netflix se banalise certes sur bien des aspects, mais continu à proposer des programmes qui donnent à réfléchir. Je ne suis pas certaine que l’on puisse parler de démocratie dans ce pays, je ne sais même pas si on peut penser qu’il ait pu l’être, quand une minorité est opprimée, il n’y a pas de démocratie…
      Très bonne soirée

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  2. C’est effarant de voir à quel point ce problème de racisme est enraciné et repose sur un système perverti… Je note le documentaire même si je sens que son visionnage va être dur et révoltant.

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  3. C’est tellement facile le racisme, l’exclusion, la xénophobie, le sexisme, le harcèlement, le « moi j’ai des droits et pas toi »… Plus facile que d’essayer d’être correct et réglo avec tout le monde. Les États-Unis ont un gros travail à faire là-dessus, nous aussi, mais personne ne veut le faire.

    Dans « Justice blanche, misère noire » de Donald Goines qui parlait des Noirs emprisonnés, l’auteur parlait des cautions, plus élevées pour les afro-américains que pour les Blancs WASP… Un très beau livre, un coup de coeur pour moi.

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