Les contemplées de Pauline Hillier

La Tunisie et moi, c’est une grande histoire, où amour et haine se confondent et chaque fois qu’un livre évoque la Tunisie avec des thématiques fortes, je ne résiste pas à sa lecture.

J’ai grandi dans ce pays et ceux qui sont curieux, savent, en lisant ma bio sur le blog que mes parents sont un couple mixte. Cela fait 20 ans que je ne suis pas allée en Tunisie, et même si le pays me manque, certains membres de ma famille aussi, je n’ai plus l’envie d’y retourner. J’y ai laissé un part de moi que je n’ai pu retrouver qu’en gagnant un combat que très peu de femmes gagnent. Mais ça, c’est une autre histoire….

Les femmes en détention sont un sujet rarement abordé et j’étais curieuse de lire ce que Pauline Hillier allait proposer. En étant confrontée à l’emprisonnement dans un pays où les droits des femmes et des hommes sont souvent à la limite de la légalité, je savais que le sujet allait me plaire, j’avais juste peur que l’on tombe dans la facilité et dans l’apitoiement. Et en toute sincérité, je me suis dit, qu’en se rendant dans un pays musulman, Pauline Hillier savait les risques qu’elle encourait. L’attentat à la pudeur en Tunisie étant passible de six mois de prison ferme. Et même si je peux comprendre, le message à transmettre, je ne suis pas certaine que montrer ses seins soit la meilleure façon de se faire entendre, encore moins dans un pays musulman, même si celui-ci se targue d’être le pays arabe où la femme a le plus de droit. Enfin ça, c’était avant le « Printemps Arabe »…

Partant de la volonté d’aider une Femen tunisienne, Pauline Hillier et deux autres femmes, se rendent en Tunisie et décident d’attirer l’attention sur le sort d’Amina, première Femen tunisienne, qui avait reçu des menaces d’islamistes pour avoir publié des photos d’elle la poitrine dénudée sur Internet. Elles décident donc de manifester leur soutien, seins nus devant le palais de justice à Tunis, la veille du procès de cette dernière.

Je ne vais pas ici faire un article à charge ou à décharge sur le Femen, ce n’est pas le propos, même si je ne partage pas spécialement leurs idées, ni la manière dont elles les manifestent.

Je vais surtout m’attacher à vous parler du récit de Pauline Hillier, sur son emprisonnement et l’impact qu’il a eu sur elle. Car au-delà des idées politiques, vivre un emprisonnement n’est pas simple, surtout lorsqu’il a lieu dans un pays étranger, loin de toute famille.

La lecture prend aux tripes, dès le début, on est dans le vif du sujet, avec Pauline Hillier dans la voiture de flic qui l’emmène vers sa prison pour quelques mois… La Manouba !

Avant d’être une prison, c’est d’abord une ville qui se trouve à quelques kilomètres de Tunis, connue pour avoir été la ville des résidences d’été des beys de Tunis, dont l’architecture vaut le détour. Cette partie historique est quasiment occultée par les Tunisiens eux-mêmes, puisque la prison porte le nom de la ville !

Pauline Hillier dresse un portrait de sa vie en prison, ainsi que des femmes qu’elle va côtoyer pendant quelques mois et j’ai été touchée par ses mots et ses descriptions. Ce qu’elle décrit sur la prison, les fouilles, est d’une réalité saisissante, car c’est vrai ! Ce n’est pas un livre qui joue sur les sentiments, c’est un livre dans lequel Pauline Hillier expose, avec beaucoup d’émotions, le fait d’être une femme, en prison, en Tunisie. De celle qui a fait des chèques en bois, à celle qui a tué, en passant par celle qui a été amoureuse et trompée, ou de celle qui a eu des relations hors mariage, tout est détaillé sans jamais tomber dans la facilité. C’est d’une grande pudeur, tout en étant très explicite. C’est plein d’amour, de tendresse et de respect.

À titre d’exemple, une femme ou un homme, en instance de divorce, ne peuvent avoir de relations sexuelles, sous peine de condamnation pour adultère. Si sur le papier, les deux sont condamnables, si des preuves sont apportées. Dans les faits, c’est souvent la femme qui est la victime et pour prouver son innocence, l’examen vaginal est une procédure courante dans les affaires d’adultère. Utilisé comme une forme de preuve, le test vaginal a été créé par la jurisprudence.

Les femmes sont et restent les premières victimes d’un système patriarcal, et c’est ce que dénonce Pauline Hillier. 

Un livre émouvant, une plume poétique, j’ai été très touchée par ces femmes, auxquelles elle dédie ce livre à travers son histoire. J’ai retrouvé ce que je connais de la Tunisie et de son système judiciaire, tout y est… Un livre qui décrit avec pudeur, le quotidien de prisonnières courageuses, en but à l’horreur, d’une grande résilience, d’une beauté foudroyante dans une Tunisie où les femmes sont de plus en plus les victimes collatérales d’un système politique défaillant.

Parution : 09 février 2023 – Éditeur : La manufacture des livres Pages : 184 – Genre : témoignage, prison, Tunisie, autobiographie, féminisme

À l’issue d’une manifestation, une jeune française est arrêtée et conduite à La Manouba, la prison pour femmes de Tunis. Entre ces murs, elle découvre un nouvel ordre du monde
et des règles qui lui sont dictées dans une langue qu’elle ne comprend pas. Au sein du Pavillon D, cellule qu’elle partage avec vingt-huit codétenues, elle n’a pu garder avec elle qu’un livre, Les Contemplations de Victor Hugo. Des poèmes pour se rattacher à quelque chose, une fenêtre pour s’enfuir. Mais bientôt, dans les marges de ce livre, la jeune femme commence à écrire une autre histoire. Celle des tueuses, des voleuses, des victimes d’erreurs judiciaires qui lui racontent au fil des jours leur vérité. Celle de ces femmes qui partagent son quotidien, lui offrent leurs regards, leurs sourires et lui apprennent à rester digne quoi qu’il arrive.
Vibrant d’humanité, Les Contemplées, roman autobiographique enflammé, nous livre l’incroyable portrait d’un groupe de femmes unies face à l’injustice des hommes.



Catégories :Challenge Polars et Thrillers, Contemporain, Thrillers/Polars

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18 réponses

  1. Rien que le terme de le test vaginal me donne des frissons d’horreur.
    Merci pour ton avis qui est d’autant plus fort que tu as une connaissance personnelle de la Tunisie. Le système judiciaire a l’air très dur et encore plus pour les femmes, même si ce point de vue, la France ne peut guère s’ériger en modèle avec ses peines à double standard.
    J’imagine à quel point cette lecture a dû être intense. Le fait que l’autrice ait su restituer la dureté de l’emprisonnement avec pudeur sans occulter la réalité est admirable.

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    • Malheureusement, j’ai le sentiment qu’être une femme, aujourd’hui, dans n’importe quel pays, devient une lutte. C’est vrai que la France n’est pas un modèle avec des peines différentes, souvent plus élevées si c’est une femme. Malgré tout, il n’y a pas de condamnation pour des choses aussi anodines qu’un chèque sans provision, et cela que ce soit pour les hommes et les femmes. Pour vivre en Tunisie, en paix, la femme ne doit pas s’exposer. Pourtant il suffit qu’elle se retrouve face à une accusation, par un homme, elle aura du mal à s’en sortir. Sauf à payer un dessous de table.
      C’était difficile pour moi de ne pas évoquer mon histoire personnelle en filigrane, car j’ai revue certaines scènes… Et même si je n’ai pas fait de prison, j’aurais pu m’y retrouver. Ce qui m’a sauvé, c’est que j’étais aidé par le ministère des affaires étrangères en France et par l’ambassade française sur place…
      Oui, c’est admirable car on ne tombe pas dans le pathos.
      Merci 🙏

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      • La dimension personnelle de ton avis lui apporte beaucoup de force. Cela doit être difficile une telle vie sous tension où tout semble pouvoir basculer en instant…

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        • Oui… 5 ans de ma vie m’ont paru une éternité et aujourd’hui encore, plus de 20 ans après, je ne réalise pas, j’ai oublié des pans entiers de cette période. J’ai récupéré ma fille, mais j’y ai laissé une grande part de moi, que je recommence à peine à retrouver… Ma fille va avoir 27 ans et tous les ans je fête l’anniversaire du jour où je l’ai récupéré, il y 21 ans, le 18 août… C’est comme une seconde naissance…

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  2. Encore un témoignage effrayant sur la condition des femmes… Honnêtement, je n’ai pas envie de le lire…

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  3. C’est terrifiant de lire ce genre de choses… c’est terrifiant d’être une femme, d’être la maman d’une femme… même si, heureusement, nos pays sont quand même nettement moins extrêmes que d’autres !

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  4. Je me dis que ce récit doit être particulièrement intéressant puisque, malgré tes réticences de principe du départ ( qui sont bien expliquées), il a réussi à te convaincre ! En ce qui me concerne, il m’arrive de saturer face aux romans estampillés féministes, mais ici, il s’agit d’un témoignage, ce qui me tente depuis sa sortie.

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    • Je sature aussi avec ces romans dit féministes ! Ici le message est très différent. J’ai regardé la grande librairie et j’ai trouvé la manière qu’elle avait d’en parler très intéressante, surtout que je venais de le terminer. Quand elle parle de sonorité, elle l’explique bien. N’hésite pas, car c’est très émouvant et très bien écrit

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  5. Je suis très touchée par tes mots Julie, ce que tu partages avec nous de ton expérience est bouleversant

    Je vais lire les contemplées, je pense comme toi, le sort des femmes devient difficiles, soyons vigilantes !
    Je te souhaite un bon dimanche 🪻🪻🦋☀️

    Aimé par 1 personne

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