Si j’avais un franc d’Abdelkrim Saifi

J’apprécie de plus en plus de découvrir des récits de vie et ce livre fait partie de ceux qu’il est nécessaire de lire pour avoir un regard plus empathique, parfois critique sur ces hommes venus d’Algérie ou d’ailleurs dans les années 50.
Abdelkrim Saifi retrace la vie de ses parents, à la fois une manière de rendre moins invisible la première génération d’immigrés, mais surtout une envie profonde de rendre hommage à ses parents.

Si j’avais un franc, je retournerais maintenant, sans attendre un seul jour, dans mon pays. Si j’avais un franc, je prendrais le premier bateau à Marseille, et j’irais voir mes frères et sœurs à Alger, prendre le thé sous le figuier, rouler le couscous sur la terrasse au soleil. Si j’avais un franc, j’irais à Lichana manger des dattes, des deglet nour, en prenant le frais sous le grenadier. Si j’avais un franc, je quitterais cette maison, cette ville où on étouffe, on dirait que cela a été fait pour nous préparer à affronter l’enfer !

Kourichi, le père, originaire d’Algérie, représente le sens du devoir en travaillant à l’usine de Hotmont dès 1948. Il fréquente de temps en temps un café, lieu de rassemblement d’autres travailleurs où s’organise à la fois la solidarité, mais aussi l’occasion de parler du pays. Yemina, la mère, se charge de l’éducation des enfants, tiraillée entre son envie de retourner en Algérie et celle de s’intégrer dans la société française.

Le titre prend tout son sens, peu à peu au fil du récit et j’ai retrouvé cette luminosité dans le regard des enfants que j’ai pu découvrir à travers d’autres récits du genre. Le sacrifice, l’amour, l’envie de réussite pour ses enfants, c’est tout ce que l’on ressent en lisant Abdelkrim Saifi.

Si j’avais un franc, nous plonge dans le contexte de la guerre d’Algérie et de ses bouleversements, tout en glissant le récit familial au cœur de ces tourments, face aux questions sociales que cela a engendré des deux côtés. C’est à la fois le vécu au cœur de la France par ces Algériens, éloignés de leur pays, mais aux prises directes avec l’actualité de leur pays.

A aucun moment, on ne ressent de revendication contre un système qui a pu être sclérosé, bien au contraire, la devise, pour réussir, il faut faire plus que les autres est palpable et elle est au rendez-vous.

Le moment qui m’a le plus révolté, c’est lorsque l’auteur parle de la nouvelle assistante sociale qui vient leur rendre visite, qui les prend de haut et qui à ce moment-là de la vie familiale aura tout fait pour obscurcir encore plus le quotidien de cette famille. J’ai trouvé ça révoltant ! Heureusement, cela n’a pas duré…

J’ai aimé les petites allusions à la réussite, de la part de certains professeurs, trop étonnés que le petit Abdelkrim puisse avoir cette éloquence réservée aux petits Français. Ceux qui touchent les cheveux, afin de voir la texture qu’ils ont… Tout cela l’auteur nous en parle, mais avec son regard d’enfant, naïf, mais qui ne voit pas les allusions derrière, ou qui refuse de les voir.

“Tout sauf l’école” est le mantra que les enfants se répètent : échouer est possible, mais pas dans les études.

La famille sera aidée par la solidarité des autres, celle des immigrés de la ville, de Raymond le voisin, de Madame Luce, la bienveillante assistante sociale qui offre des livres aux enfants.

Abdelkrim Saifi a décidé d’être un soleil autour duquel on a envie de graviter, son enfance est lumineuse, porteuse d’espoir et de reconnaissance. Pourtant, si cela peut sembler naïf, l’auteur est bien lucide sur la place qu’il occupe :

On était beaucoup à « basculer ». On ne disait rien aux parents, à quoi bon ruiner leurs rêves, déjà bien démolis ? On prenait soin de la première génération, on faisait attention à ne pas leur faire de la peine, les parents voulaient toujours repartir, un jour. Un jour. Ils auraient pu croire qu’on les reniait, alors qu’on les chérissait, et, les années passant, on prenait la mesure des sacrifices subis pour qu’eux-mêmes, et nous, puissions avoir une vie meilleure. On leur devait un immense respect, qu’on ne mégotait pas, ce serait pour toujours, une reconnaissance attristée de leurs souffrances.

Mais aussi sur l’échec de l’intégration, car même si les enfants de Kourichi et Yemina ont réussi au-delà des attentes des parents, l’ascension sociale n’a pas été au rendez-vous :

Que faire ? Laisser dire, laisser aller, accepter, par de petites lâchetés, l’avancée insidieuse des discriminations, du racisme, des on-vous-écrira, des phrases qu’on lit, qu’on entend, ici et là, jusqu’à plus soif, des tous-les-hommes-naissent-libres-et-égaux, la République-ne-fait-pas-de-distinction, alors on choisit ses mots, on ne parle plus des Arabes ou des Noirs, on évoque les quartiers, les banlieues, les zones. Et on y va. Et tout le monde comprend. Et les apparences sont sauves.

C’est un très beau récit de vie, magnifiquement bien écrit et un très bel hommage ! Ainsi qu’un très bon roman qui explore en profondeur le thème de l’identité, de l’intégration et des immigrés algériens.

Le le Prix de la littérature arabe des lycéens n’est pas usurpé !


Parution : 20 janvier 2023 – Éditeur : ANNE CARRIERE – Genre : contemporai, historique, politique, sociétal – Pages : 304

Dès l’aube, Korichi se dirige vers l’usine d’Haumont avec des centaines d’ouvriers. La douleur de l’exil ne se dissipe pas depuis qu’il a quitté l’Algérie en 1948, mais il doit continuer, accumuler les jours de travail pour couvrir les dettes d’une famille de dix enfants, et espérer donner à ces derniers la chance d’une autre vie. Après l’usine, il trouve du réconfort au café, où les communautés de travailleurs immigrés commentent l’actualité et organisent la solidarité.
Rayonnante même dans le dénuement et l’adversité, Yamina élève leurs enfants dans un entre-deux complexe : son rêve d’un retour au pays natal se mêle à la détermination de les voir s’intégrer et réussir, et peut-être embrasser l’idéal républicain.
À travers une déambulation dans l’histoire française, de la guerre d’Algérie aux soubresauts du XXe siècle, Si j’avais un franc appelle à réfléchir aux questions d’identité et d’intégration. Mêlant intime et politique, cette autofiction familiale lumineuse donne voix à ces femmes et ces hommes de l’immigration algérienne qui ont subi l’exploitation et le mépris, et rend hommage à un père et une mère condamnés malgré eux à l’héroïsme.


Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club




Catégories :Contemporain, Historique

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14 réponses

  1. Un récit qui semble très émouvant et dont les thèmes sont importants. Merci pour la découverte.

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  2. Merci Julie pour cet avis touchant ☺️.

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  3. On sent à tes mots qu’il s’agit d’un récit vibrant et d’une lecture qui ne laisse pas indifférent. De même, les citations que tu as choisies sont percutantes et très émouvantes.

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  4. ça a l’air très touchant 🙂

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  5. Comme il est facile de prendre les gens de haut… :/

    Je note ce roman qui me fera sortir de mes sentiers battus 🙂

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