La Servante écarlate de Margaret ATWOOD

Au détour de politiques de plus en plus conservatrices, les femmes sont souvent les premières à subir une réduction de leurs droits les plus élémentaires.

Lorsque ce roman est adapté en série, il devient l’emblème de toute une génération de femmes qui luttent, un emblème politique reconnaissable et qui a certainement mis en exergue, à travers la cape, ce qui avait tendance à être occulté dans le livre.

Les causes ont besoin de symboles et la cape de « la servante écarlate » est devenue celui de la lutte pour les droits des femmes, dans un contexte politique où ces mêmes droits  tendent de plus en plus à être réduits dans certains pays.

La citation de Simone de Beauvoir « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. », n’a jamais été autant d’actualité.

L’auteure imagine une théocratie totalitaire où les femmes sont réduites au simple rôle d’utérus, privées de leur identité, de savoir. Trente ans plus tard, son intrigue aux allures de mise en garde est plus moderne que jamais.

En commençant ma lecture, j’ai eu du mal à me détacher de la Defred de la série, tellement l’actrice est habitée par son rôle, mais je me suis attachée à la Defred de Margaret Atwood, brune, 1,68m, 33 ans…

Servante, entièrement vêtue de rouge à l’exception de ses ailes blanches, symbole de pureté, qui lui encadrent le visage, elle a pour obligation de procréer, pour la République de Gilead.

Le choix du nom de la République : Gilead ou Galaad, n’est pas un choix innocent, de la part de Margaret Atwood. Gilead désigne aussi bien, une communauté, un mont (Le mont Gilead en Caroline du Nord) qu’un canton aux État-Unis. Mais c’est aussi le nom d’un quartier d’une banlieue de Sydney.

Lors d’une interview, l’auteure évoque l’Australie et ces enfants aborigènes volés à leurs parents, pour être placés dans des familles blanches. Il n’y a qu’un pas pour y déceler un parallélisme avec Defred et le fait que sa fille lui a été enlevée.

Dans les textes bibliques, la ville de Gilead est la représentation d’un médicament curatif. Ainsi, nous ne sommes pas loin de l’idéologie du Gilead de la servante écarlate : avoir trouvé « la solution » pour sauver un monde souffrant d’infertilité !

Defred, une femme dont l’identité a été effacée, au point que l’auteure l’occulte complètement. Elle est devenue, la servante de l’homme à qui elle appartient. Defred, détachée de son enveloppe charnelle, n’est plus qu’un ventre. C’est perturbant, pour nous, lecteurs, qui souhaiterions la voir se révolter, réagir au minimum… Pourtant, j’ai trouvé que l’auteure, à travers Defred, dépeignait cette déconnexion psychologique qui se fait lorsque l’on n’accepte pas l’inconcevable. Ce détachement, perturbant pour nous, est révélateur de la qualité de la construction de ce personnage. Le cerveau se met en mode sauvegarde, en mode automatique et même si parfois il y a des soubresauts de retour à la réalité, la réalité est tellement glauque que Defred préfère survivre à côté de ses pompes. Alors, oui elle accepte sa condition… Mais a-t-elle réellement le choix dans cette société où chaque femme a un rôle bien précis, codifié à outrance, avec les Marthas, qui sont chargées de l’entretien du domicile des élites, les Econofemmes et les femmes de commandants. Aucune n’a le choix.

Les vêtements et les couleurs sont le reflet de la hiérarchie sociale. Une tenue ainsi qu’une couleur assignée aux femmes, est d’ailleurs un symbolisme que l’on trouve fréquemment dans l’Histoire. Il n’y pas si longtemps, l’origine sociale était reconnaissable aux vêtements que les gens portaient. L’étoile jaune, en est l’exemple le plus récent…

Une des symboliques les plus fines et qui peuvent passer à la trappe, car pas explicitée, est bien celle des vêtements portés par les femmes de Gilead,  large dérivés de l’iconographie religieuse…

  • Les épouses avec le bleu, symbole de la pureté de la Vierge Marie.
  • Les Servantes avec ce rouge, qui peut avoir plusieurs symboliques, mais celle qui m’a le plus sauté aux yeux est celle des peintures de Marie-Madeleine sur certains tableaux. La romancière a d’ailleurs évoqué cet aspect : « le rouge est la croix … Le rouge est le sang », référence à la théocratie d’un côté et l’accouchement de l’autre…
  • Les épouses des hommes pauvres, les « éconofemmes« , portent des vêtements à rayures.

Ce livre qualifié de féministe, que ce soit par les lecteurs, les mouvements féministes et disons-le clairement les community manager, n’a rien de féministe ! Les mouvements féministes ont tendance à montrer la femme comme un être fragile, qu’il faut protéger, qui doit se battre, qui est victime… Je ne suis pas une victime ! Les femmes sont avant tout des êtres humains avec des défauts, des qualités. Chacune des femmes de Margaret Atwood, a un caractère propre avec le comportement qui va avec. Chacune vient enrichir le récit.

Les hommes ne sont pas tous représentés comme étant des monstres. Chaque homme est tributaire du groupe et de l’organisation. Ils sont aussi victimes de cette théocratie, un homme n’en fait pas partie de l’élite, il ne pourra avoir une femme, il doit démontrer, par ses actes qu’il en est digne. L’élite décide… Donc la position sociale a une importance capitale dans la conception de ce bouquin ! Je n’ai rien vu de féministe dans le fait qu’un homme, soit écarté de la possibilité d’avoir une femme s’il n’est pas jugé digne… La seule différence dans le traitement, homme-femme, est que la femme est, de par sa condition, discriminée, alors que l’homme, l’est par sa condition sociale. Et c’est là où réside la nuance…

Le roman de Margaret Atwood est un condensé des symbolismes divers. Elle arrive à en produire un savant mélange, parfois déroutant, comme si elle avait mis des petits papiers dans un bocal et tiré au sort au fur et à mesure ce dont elle voulait parler.  Je ne m’imaginais pas retrouver dans ces pages autant de références historiques. J’aime beaucoup ce genre de procédé, qui démontre le talent de l’auteure.

C’est une lecture qui se mérite, la densité du propos, des symboles et la construction, en font un chef d’œuvre littéraire intemporelle. Si vous cherchez de la légèreté, passez votre chemin…

Je m’interroge… Quel est le plus déshonorant, considérer les femmes comme de simples reproductrices, ou les considérer comme objets sexuels…

4° de couverture

Devant la chute drastique de la fécondité, la récente dictature théocratique militaire à la tête de la république de Gilead, a réduit au rang d’esclaves sexuelles les quelques femmes encore fertiles. Vêtue de rouge, Defred, « servante écarlate » parmi d’autres à qui l’on a ôté jusqu’à son nom, met son corps au service de son Commandant et de son épouse. Le soir, en regagnant sa chambre à l’austérité monacale, elle songe au temps où les femmes avaient le droit de lire et de travailler… En rejoignant un réseau secret, elle va tout tenter pour recouvrer sa liberté. Le quotidien glaçant décrit dans ce classique de la littérature anglophone vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde nous rappelle combien fragiles sont nos libertés.

Parution : 1985 – Editeur : Robert Laffont – Prix grand format :  23,40€ – Prix numérique : 10,99€ – Prix Poche : 11,50€ – Pages : 560 – Genre : dystopie, thriller-psychologique – Traducteur : Sylviane Rué  

Ce livre a été a été sorti de mon énorme PAL…

Atwood-Margaret-crédits-Jean-Malek-2014-224x300Margaret Atwood est l’une des romancières et poétesses les plus importantes du Canada. Née à Ottawa en 1939, elle a écrit une quinzaine de romans, autant de recueils de poésie et une dizaine de nouvelles, d’essais et de livres pour enfants. Déjà connue dans les années 1970, elle est revenue sur le devant de la scène en 2017 grâce à la série La Servante écarlate (The Handmaid’s Tale), adaptée de son roman homonyme de 1985.

Lu dans le cadre du challenge 1 pavé par mois  et du challenge Polar et Thriller 2019-2020

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Catégories :Challenge un pavé par mois, Thrillers/Polars

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10 réponses

  1. Les vêtements définissent souvent une personne… Dans ce roman encore plus car on assigne une couleur à des femmes selon leur statut, leur place… Lis le suivant, il est encore plus mieux que le premier !

    Aimé par 1 personne

  2. 📖 Flash info livresque 📖 Un recueil anthologique de poésie de Margaret Atwood paraîtra le 18 juin aux éditions Bruno Doucey : « Laisse-moi te dire… Poèmes 1964-1974 ». Pour en savoir plus : https://www.editions-brunodoucey.com/laisse-moi-te-dire. 😊

    J’aime

  3. Je regarde la série, n’ayant pas pu lire le livre. Je ne parvenais pas à le comprendre dans sa formulation.
    Comme je suis têtue, je le reprendrai plus tard. Lorsque cette dernière saison se terminera. Un autre suivra sur le second volet livresque, « Les testaments ».

    Aimé par 1 personne

    • J’ai vu la série et le livre est effectivement exigeant niveau plume. Mais il est très intéressant et complexe. Le livre n’a d’ailleurs rien à voir, à partir de la saison 2
      Les testaments est très sympa, la plume plus abordable et je conseille à chaque lecteur de l’opus de ne pas lire la 4ème de couv qui en dit beaucoup trop.

      Aimé par 1 personne

      • Ouf je n’ai pas lu. C’est comme certains commentaires qui en disent de trop. Je ne parle pas sur la plateforme WordPress ou du moins chez les personnes chez qui je suis abonnée.

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        • Ah je suis contente de savoir que tu n’as pas lu la 4ème ! Je ne l’avais pas lu, comme 99% des 4ème de mes lectures et j’ai adoré ce que je lisais. Et lorsque j’ai lu la 4ème (je la lis des fois vers le milieu ou la fin) j’étais tellement contente de ne pas l’avoir fait ! Et j’ai réalisé à quel point certaines personnes divulguent trop que ce soit en commentqnt ou en chroniquant.
          J’espère que je ne le fais pas ! Je déteste ça

          Aimé par 1 personne

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