Premières lignes… Les soeurs de Montmorts – Jérôme Loubry

Où allons-nous? demanda Camille en se tournant vers la conductrice.

Depuis qu’elles avaient quitté le parking sous-terrain, celle-ci n’avait prononcé presque aucune parole. Elle s’était contentée de conduire, le visage marqué par une extrême fatigue qui lui palissait la peau comme la plus sournoise des maladies.

— Dans le mail que je vous ai envoyé, répondit Élise sans dévier son attention de la route, je vous ai écrit que j’allais vous fournir l’histoire la plus effroyable que vous ayez entendue. Mais comme tout fait réel, il faut que j’appuie mes dires sur des preuves, sinon vous seriez incapable de me croire. Vous me traiteriez de folle et de menteuse.

— Vous n’aviez pas précisé que nous devrions sortir de la ville, remarqua Camille en scrutant les alentours à travers la vitre de la voiture.

— C’est vrai, j’aurais dû, reconnut Élise, en tournant la tête pour lui adresser un faible sourire. Mais une fois sur place, vous comprendrez. N’ayez crainte, il ne s’agit nullement d’un guet-apens ou de je ne sais quoi. Vous n’avez pas à avoir peur.

La peur se lit-elle sur mon visage ? songea Camille en détournant son attention par-delà la vitre et le paysage qui défilait. Au travers de ma voix mal assurée? Non, je n’ai pas peur, je suis simplement curieuse et… mal à l’aise de me retrouver assise à côté d’une inconnue.

Par un réflexe enfantin, elle abaissa le miroir de courtoisie du véhicule pour vérifier la bonne prestance de son visage. Elle n’y remarqua aucun signe de fragilité. Ses yeux en amande d’un marron profond demeuraient fixes, sûrs d’eux. Son teint n’avait pas blêmi et ses lèvres ne tremblaient pas. Son trouble n’était donc qu’intérieur.

La voiture quitta les artères du centre-ville et atteignit rapidement la banlieue. Les rues éclairées par les dizaines de devantures lumineuses s’étaient muées en quartiers sombres et déserts, puis les lampadaires blafards disparurent à leur tour pour laisser aux champs et à la lune pleine le soin de veiller sur elles. Camille pensa à cet e-mail reçu une semaine auparavant sur sa boîte professionnelle :

« Je peux vous offrir le premier scoop de votre courte carrière. En lisant cette phrase, vous penserez certainement à une mauvaise plaisanterie, mais ce n’est pas le cas. Je suis sérieuse. D’ailleurs, pour vous montrer ma bonne foi, je vais vous donner une indication, une sorte d’amuse-bouche qui vous mettra en appétit. Vous avez sans aucun doute entendu parler des supposés évènements qui se sont produits dans le village de Montmorts, il y a deux ans. Bon nombre de médias ont tenté de comprendre le déroulé des faits. Hallucination collective? Complot de l’État? Sorcellerie? Bien sûr, tous se sont heurtés au silence et aux avocats du propriétaire du village. Je peux vous révéler ce qui s’est réellement passé. Et j’ai choisi de vous offrir ce cadeau sans aucune contrepartie. Vous pouvez décider de me faire confiance ou de m’ignorer.
Mais une fois en route, il vous sera impossible de quitter le chemin de la vérité. Je vous attendrai lundi prochain, à vingt heures, dans le parking souterrain public de la rue Saint-Exupéry. Cherchez une Volkswagen Polo noire, au deuxième sous-sol.
« 

La journaliste avait hésité. Mais plus elle relisait le message, plus son envie de savoir grandissait. Le lendemain, elle décida qu’elle n’avait rien à perdre. Au pire, elle gâcherait une heure de son temps, et au mieux elle pouvait lancer sa carrière.

— Vous voyez, reprit Élise d’une voix atone, imaginez que je vous dise que cette nuit, alors que je dormais, un grincement lugubre provenant du grenier m’a réveillée. Vous me croiriez, n’est-ce pas ?

— Oui, bien sûr.

— Mais si je vous avouais que ce grincement est dû à la présence d’un fantôme dans ce même grenier, vous auriez beaucoup plus de mal à me prendre au sérieux ?
— Dans ce cas, oui, avoua Camille.

— Eh bien, nous sommes exactement dans ce cas de figure. Ma seule chance de vous convaincre est de vous montrer ce fantôme et non pas de me contenter de vous décrire le bruit d’un parquet centenaire qu’un esprit s’évertue à faire craquer dès que mes yeux se ferment.

— Je ne crois pas aux fantômes, déclara la journaliste, sans toutefois savoir si cela était vrai.

Elle ne s’était simplement jamais posé la question.

— Vraiment ? Peut-être parce que vous n’en avez jamais vu… Mais avant d’arriver à la conclusion de mon histoire, je vais profiter de ces deux heures de route pour vous la présenter dans son intégralité. S’il vous plaît, cherchez sous votre siège et prenez ce qui s’y trouve.

Camille s’exécuta. Elle se pencha et découvrit une chemise cartonnée orange qu’elle posa sur ses genoux et de laquelle elle sortit des pages dactylographiées, reliées par des agrafes en métal épais. La journaliste souleva la page de garde et découvrit les premiers mots : Acte 1. Dessine-moi un mouton !

— Il y a un peu plus de deux cents pages, précisa Élise, en observant du coin de l’œil sa passagère qui feuilletait déjà le contenu. Je vais vous laisser les lire pendant que je conduis. Évitez de me demander des précisions, toutes vos réponses apparaîtront à notre arrivée. Une fois sur place, je vous montrerai les preuves. Et je vous poserai alors cette question: croyez-vous toujours que les fantômes n’existent pas ?

Parution : 25 août 2021 – Éditeur : Calmann-Lévy – Pages : 414




Catégories :Premières Lignes...

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8 réponses

  1. Les premières lignes et la couverture m’intriguent beaucoup, j’ai envie de découvrir la suite ^^

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  2. Quelle chance tu as reçu le nouveau Jérôme Loubry ! J’ai hâte de savoir s’il est aussi bon que les précédents. Je compte sur toi Julie pour m’éclairer 😊

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