
Vingt ans que je n’ai plus mis les pieds sur l’île où j’ai grandi. Pour ma défense, nos adieux, à elle et moi, ne se sont pas faits de la plus paisible des façons. Vingt ans de souvenirs ressassés, de visages oubliés, de paysages déformés par le temps.
Vingt ans de cauchemars récurrents, également.
Et ce matin, elle est là, face à moi, émergeant progressivement de la brume dans laquelle s’enfonce le bateau affrété par le gouvernement. Dans moins de dix minutes, nous accosterons, quelques autres passagers et moi. Ainsi, évidemment, que la trentaine de soldats qui nous accompagnent. Pardon, pas des “soldats”. Des “agents de protection”. L’armée a été très claire sur cette terminologie. Ils sont là pour s’assurer que tout se passe bien, rien de plus. Et les armes automatiques qu’ils tiennent ne changent rien à l’affaire, n’est-ce pas ? En tant que survivants, nous avons le droit de visiter le mémorial avant son ouverture publique. Un privilège que j’ai décidé d’honorer après, oh, à peine deux mois d’hésitation. Là, tout de suite, je me dis que j’aurais peut-être dû hésiter encore quelques années de plus… Qu’est-ce que je fous ici, bordel ? J’ai discuté avec Romane, hier. Cinq minutes de conversation téléphonique. Un record. Je lui ai demandé si elle venait. Réponse : “Non.” Ou plus précisément : “Non. Qu’ils aillent se faire foutre.” Romane est devenue assez vulgaire, ces derniers temps. Je crois que je la comprends. Nina, elle, a eu droit à une visite en avant-avant-première, la semaine dernière. Il faut croire que ça paie, d’être présidente de l’Association des survivants de l’Émergence 7.
Alors que le bateau se rapproche, je sens mon cœur qui bat de plus en plus fort. Je ne sais pas ce que je ressens. Je sais juste que j’aurais aimé que les autres soient là avec moi. Mais, eh bien, les autres, ils ne sont pas là. Plus là. Ni sur ce bateau ni nulle part. “Les autres”, ils ne font pas partie des survivants de l’Émergence 7. “Les autres”, ils sont restés, comme mes cauchemars, coincés dans cette journée-là. Le bateau arrive. Plus que quelques secondes avant de revivre tout ça. Je ne suis pas prêt. Mais je crois bien que je ne le serai jamais.
Alors je referme mon ciré, je mets ma capuche et, les mains serrées en poings dans mes poches, j’attends que les soldats baissent la passerelle, entouré des autres visiteurs. Personne ne parle. De toute façon, il n’y a rien à dire. Face à moi, c’est juste l’île où j’ai grandi. L’île où, ce jour-là, j’ai perdu mes amis. Ma famille. Mes espoirs. L’île où tout s’est terminé. La passerelle tape contre le béton du quai. À part l’humidité de l’air, je n’ai rien oublié. Vingt ans plus tard, je suis enfin de retour à la maison. Nous commençons à débarquer, à l’endroit exact où tout a commencé.
Parution : 7 septembre 2022 – Éditeur : Actes Sud Junior – Pages : 208 – Genre : jeunesse, fantastique, dystopie
Ce matin-là, tandis qu’il attend avec les autres enfants de l’île le bateau qui les amène au collège sur le continent, Léon a le moral en berne. Il va devoir quitter la petite île bretonne sur laquelle il a toujours vécu. Dire au revoir à Joachim, son meilleur ami, et à Alex, la fille dont il est secrètement amoureux. Ses soucis vont passer au second plan lorsque soudain s’extirpe de l’océan une créature monstrueuse et gigantesque. Une chose impossible à décrire qui, pendant une journée, va semer derrière elle destruction, flammes et cris. Le récit d’Émergence 7 se déroule au rythme intense d’une fuite pour la survie. Deux cents pages entièrement illustrées, en immersion totale, entre récit catastrophe, chronique adolescente et inspiration manga !
Catégories :Premières Lignes...
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