« De retour sur la rive droite, elle emprunta cette fois la rue de Rivoli en direction de la place de la Concorde, qu’elle remonta d’un pas rapide jusqu’à la place du Carrousel, puis bifurqua sur l’avenue de l’Opéra. C’étaient là les plus beaux lieux de Paris, ceux qui scintillaient de mille feux quand le soir tombait et que les réverbères s’embrasaient. Ceux que les gens bien mis fréquentaient nuit et jour, ceux dont les pierres racontaient la grande histoire de la France. Mais Esther, qui avait arpenté les chemins des forêts de Bourgogne, n’y était pas sensible. Elle allait vite, incommodée par les gens, gênée par le brouhaha permanent qui brisait la paix du monde.« 

J’ai rencontré la plume d’Audrey Brière en 2023 avec Les malvenus, et l’atmosphère dépeinte par l’auteure dans ce roman m’avait enchantée. Alors, quand Babelio m’a proposé Mauvais cœur lors d’une masse critique privilégiée, j’ai bien entendu accepté, et j’ai été ravie d’apprendre que j’allais recevoir le roman. Dès son arrivée, j’ai plongé dans les pages de ce nouvel opus, heureuse de retrouver les personnages de Matthias Lavau et d’Esther Louve.

Cette fois-ci, l’auteure nous embarque dans le Nord de la France, au sein du Familistère de Guise, pensé et fondé par Jean-Baptiste André Godin. Je n’avais jamais entendu parler de ce lieu, et grâce aux images de ce palais social trouvées sur internet, j’ai pu m’immerger davantage dans l’histoire.

Que nous raconte ce Mauvais cœur ?

Matthias Lavau, maintenant enquêteur à Lille, doit résoudre le meurtre d’une femme, institutrice au Familistère. L’enquêteur découvre alors ce lieu étonnant et la façon de vivre des familles d’ouvriers des usines Godin ; tout lui paraît très étrange, et il a le pressentiment que derrière les briques de ce palais et les façades humaines se cache quelque chose de sombre et malsain. Cette affaire s’avère bien plus complexe que prévu à démêler, malgré ce don que le policier possède, celui de se remémorer tout ce qu’il a vu ou entraperçu une fois. Son trouble s’amplifie quand réapparait Esther Louve, la femme qu’il aime et qui l’a quitté deux ans auparavant, et dont il n’a eu aucune nouvelle durant ce laps de temps. Elle n’est évidemment pas là par hasard, et apporte avec elle des éléments tout aussi énigmatiques, qui semblent s’entremêler à ceux déjà en possession de Matthias. Les deux âmes sœurs, malgré la distance installée entre eux et les non-dits, vont unir leurs forces et leurs compétences pour comprendre ce qui se trame en ces lieux singuliers.

Comme dans Les malvenus, les deux personnages de Matthias et d’Esther m’ont beaucoup plu. D’habitude, je suis vite lassée par les personnages trop « marqués », qui ont de sacrées casseroles accrochées à eux, mais ici cela ne m’a pas gênée. Esther et Matthias sont cabossés par la vie, et portent un lourd fardeau ; leurs traits de caractère sont les stigmates laissées par ce passé. Esther, et sa froideur, son désintérêt pour les relations sociales avec les humains vivants, possède a contrario un penchant scientifique pour la mort, et a cette faculté à lire les indices sur un corps ; Matthias, et son côté bourru et colérique, est un fin limier, en partie grâce à sa capacité mémorielle hors du commun, et son attrait pour les nouvelles techniques criminalistiques.

Puis, il y a l’intrigue, sur un fond historique intéressant. J’ai beaucoup aimé la façon dont l’auteure sème ses indices tout le long de son histoire ; pour un œil attentif (en parlant d’œil, j’ai l’impression qu’Audrey Brière a un attrait particulier pour le regard et les yeux, elle n’a eu de cesse de les évoquer dans son texte), ils permettent, non pas de résoudre l’entièreté de l’énigme, mais de s’en approcher. C’est habilement mené, l’exercice est très réussi.

En conclusion, c’est un nouvel opus dont j’ai vraiment apprécié la lecture. Je l’ai pourtant trouvé tout à fait différent du premier, tant dans l’atmosphère dégagée (l’ambiance décrite dans le premier m’avait davantage plu), que dans le développement de l’intrigue. Les personnages me semblent également avoir pris de l’envergure, avec une mention spéciale pour celui d’Esther Louve, dont le tempérament et la personnalité me plaisent.

À nouveau une belle découverte. Une auteure à suivre.

Je remercie Babelio et les éditions du Seuil

Parution : 07 février 2025 – Éditeur : Éditions du Seuil (collection Cadre Noir) – Pages : 384 – Genre :  policier, polar, polar historique, littérature française

1922. Dans un petit bourg du nord de la France se dresse le Familistère, un immense bâtiment de brique rouge, de verre et d’acier, où sont logés les employés des fonderies Godin et leurs familles. Une communauté ouvrière unique, fondée sur une utopie humaniste. Pourtant, ce matin-là, leur institutrice est retrouvée assassinée. Dépêché sur les lieux, l’imperturbable Matthias Lavau, enquêteur aux capacités remarquables, ne peut s’empêcher d’être étonné. Quel étrange endroit, quelle drôle de façon de vivre… Alors que Matthias tente de percer les secrets du Familistère, Esther, son adjointe et la femme qu’il aime, réapparaît soudain. Esther, avec sa personnalité mystérieuse et abrupte, qui l’a quitté deux ans plus tôt sans explication. Malgré l’absence et les non-dits, elle est une alliée bienvenue dans l’élucidation du meurtre. Enfin, des meurtres, car bientôt un nouveau corps est découvert.. Le mal se serait-il introduit dans cette communauté parfaite ?

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2024 au 11 Juillet 2025)

Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club

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Tags:polar, polar historique, policier