Dans le creux de son bras gauche, tout le monde peut maintenant voir distinctement qu’il porte un nourrisson dans ses langes. Et les cris de l’enfant résonnent. Il n’a pas cessé de crier. Un petit être de chair est là, depuis des jours, des semaines, d’aussi loin qu’est parti cet homme étrange, et il pleure, avec force, sans se lasser. C’est miracle, même, qu’il n’ait pas fini par sombrer dans un épuisement du corps. Le silence dure. Puis, lentement, le cavalier passe une jambe au-dessus de la croupe de son cheval et pose pied à terre. Il porte toujours l’enfant.

Laurent Gaudé est un auteur dont j’apprécie la plume et les histoires. La mort du roi Tsongor m’avait transportée vers un autre monde, sans repère ni de temps, ni de lieu réel, et j’avais adoré cette lecture. Dans un tout autre genre, Chien 51 a été une très belle découverte ; ce polar dystopique m’avait séduite tant par le monde imaginé par l’auteur que par son écriture à la fois poétique et mélancolique, avec des propos qui interrogent notre propre monde. Malgré mon intérêt pour cet auteur, depuis trop longtemps, Salina m’attendait ; Julie m’avait parlé de la beauté du texte, et de nombreux retours vont en ce sens. Depuis peu en découverte de la lecture audio, le hasard a mis sur mon chemin, à la médiathèque, ce format audio de Salina. Il ne m’en fallait pas davantage pour discerner dans cette synchronicité, un signe, qui me commandait de ne pas hésiter. Et je dois vous avouer ici quelque chose que je ne pensais pas dire : la lecture audio a été, avec ce texte, une sorte de révélation. Je l’ai trouvée très adaptée à ce roman, aux mots de Laurent Gaudé, avec un narrateur que j’apprécie en tant qu’acteur. Une immersion totale pour suivre le destin tragique de cette héroïne du désert.

Salina : les trois exils, relate la vie de cette femme à travers la voix de son fils, Malaka. D’abord bébé mystérieuse, elle est déposée sur le sol poussiéreux d’une terre assoiffée d’eau, par les caprices de dieux craints, ou par la volonté et les croyances des Hommes. Elle est recueillie par une femme bienveillante, et élevée au sein d’un clan qui n’est pas le sien. Elle devient jeune femme, objet de la convoitise d’un homme. Puis, elle se transforme au fil des maltraitances qu’elle subit, des humiliations, de la dureté de la vie, et de la lâcheté qui l’entoure ; rien ne lui sera épargnée. Pourtant, elle lutte, elle se forge une colère, elle se nourrit du mal, de la veulerie, et en son sein se développe un germe de haine et de vengeance. Saura-t-elle y résister ? Trouvera-t-elle l’apaisement ? C’est toute cette histoire que nous conte Laurent Gaudé.

Il m’est très difficile de donner mon avis sur ce texte magnifique. Salina m’a subjuguée. Émue. Mise en colère. Je suis passée par une palette d’émotions variées, ce qui est très rare pendant une lecture. La plume de l’auteur est flamboyante, poétique, ciselée. Elle porte ses coups avec violence parfois, ou évoque avec une pudeur mêlée de vérité, l’horreur tout comme la beauté. Elle émeut et envahit les cœurs. Elle dépeint la colère, la haine, mais aussi l’amour, sous toutes ses formes. À travers les mots de Laurent Gaudé, toutes les possibilités, toutes les nuances.

Mais c’est également un hommage fait aux femmes. C’est vers elles que mes pensées sont allées en écoutant cette histoire. Vers celles qui encore aujourd’hui, au 21^e siècle, ne sont que des objets pour certains hommes, qui aujourd’hui encore, sont violées, obligées, forcées, déshumanisées. Privées des droits fondamentaux, ceux de choisir, de s’exprimer, tout simplement de vivre librement. Et aussi vers celles qui luttent, inlassablement.

Parution : 11 septembre 2019 – Éditeur : Actes Sud – Temps d’écoute : 8 heures et 48 minutes – Pages : 336 – Narrateur : Guillaume Gallienne – Genre : littérature française, fantastique, femmes, relation mère-fils, sagesse, contes, légendes, deuil

Qui dira l’histoire de Salina, la mère aux trois fils, la femme aux trois exils, l’enfant abandonnée aux larmes de sel ? Elle fut recueillie par Mamambala et élevée dans un clan qui jamais ne la vit autrement qu’étrangère et qui voulut la soumettre. Au soir de son existence, c’est son dernier fils qui raconte ce qu’elle a été, afin que la mort lui offre le repos et que le récit devienne légende.

Renouant avec la veine mythique et archaïque de «La Mort du roi Tsongor», Laurent Gaudé écrit la geste douloureuse d’une héroïne lumineuse, puissante et sauvage, qui prit l’amour pour un dû et la vengeance pour une raison de vivre.

Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club

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