L’indignation, même si elle n’est pas un remède miracle, a fait ses preuves dans l’Histoire. C’est l’indignation face aux inégalités de genre qui a permis à des femmes de lutter pour leurs droits avec endurance et sagacité. C’est l’indignation face à l’occupation nazie qui a poussé Stéphane Hessel à entrer en Résistance. Et c’est l’indignation qui peut permettre de commencer à résister à l’extrême droite. L’indignation ne mène pas toujours à l’action, elle n’est pas une solution en soi, elle est souvent le déclencheur de la solution, l’étincelle qui ne donne pas toujours lieu à un grand feu de joie, mais qui parfois démarre les révolutions. Or aujourd’hui, cette indignation nous fait défaut, parce qu’elle est quasi immédiatement disqualifiée et renvoyée au rang de l’irrationnel, de l’émotionnel. L’indignation n’est pas perçue comme une vertu, on l’associe plutôt à un sursaut d’étonnement naïf, à une colère vaine. Pourtant, en son temps, Albert Einstein le soulignait déjà :
Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.

Salomé Saqué est journaliste, et en 2024 elle publie cet essai Résister dont les premiers mots de l’introduction sont percutants : « Une balle dans la nuque. C’est ce que préconise le site d’extrême droite Réseau libre pour se débarrasser « des fouille-merde » : journalistes, avocats et syndicalistes méthodiquement identifiés dans une liste noire largement diffusée de personnes à abattre ».

Le ton est donné.

Dans cet essai, Salomé Saqué explique pourquoi l’extrême droite n’est pas un parti comme les autres. Elle le fait de façon très factuelle ; le texte est accessible à tous, documenté et sourcé. Elle évoque la naissance du parti, la genèse des idées, comment il a réussi sa fausse « mue », comment il s’insinue dans les pensées, comment il s’est installé. Avec banalité. Sans que rien ne se passe. Pourtant l’Histoire n’est pas avare d’exemples des conséquences des extrêmes. Pourtant, les exemples de ce qu’il se passe dans le monde sont légions, l’information existe, si on se donne la peine de la chercher.

Outre le côté journalistique très instructif, cet essai m’a beaucoup parlée/intéressée d’un point de vue plus personnel.

Je ne suis pas quelqu’un de très disert sur ma vie, je cultive la discrétion, à tort parfois. Je m’étais promis de ne jamais parler de moi, ou très peu, sous couvert d’humour, et d’anecdotes. Rien que le fait de communiquer sur mes écrits, me met déjà très mal à l’aise (même si Julie a réussi à m’extraire de ma grotte), alors pour le reste, n’en parlons pas. Néanmoins, aujourd’hui, je vais déroger à la règle.

Très fréquemment, depuis presque trente ans, parce que je n’ai pas épousé la bonne personne (sous-entendu, mon mari n’a pas la bonne couleur de peau), j’entends remarques et blagues douteuses, je « subis » un racisme « poli » comme on dit, celui qui est sympa, on rigole hein, rien de méchant. Mais tout cela restait feutré si je peux dire. Aujourd’hui, c’est plus prégnant : les gens n’ont plus honte, dans des lieux publics, de crier leur haine de l’autre, de l’immigré, responsable de tous leurs maux, de tous les maux. De se pavaner en affichant qu’ils votent pour l’extrême droite, parce qu’ils n’ont pas essayé, parce que c’est un parti comme un autre. Pourtant, ce n’est pas un parti comme un autre. Il n’y a qu’à lire cet essai pour le comprendre.

Alors résister, je sais ce que c’est, je le fais, depuis longtemps. Mais à chaque élection je m’interroge. Qu’adviendra-t-il de nous ? Je pense à tous ceux qui ne sont pas de « souche » comme disent certains (dont les connaissances en génétique sont de fait très limitées). Je pense à nous les femmes, à nos droits, à nos libertés chèrement acquises, et qui peuvent nous être reprises d’un claquement de doigt. En vérité, je pense à tous ceux qui ne correspondent pas à ce qu’ils voudraient.

Parution : octobre 2024 – Pages : 144 – Éditeur : Payot – Collection Essais – Genre : essai

L’extrême droite est aux portes du pouvoir. Dans les urnes comme dans les esprits, ses thèmes, son narratif et son vocabulaire s’imposent. Il est encore temps d’inverser cette tendance, à condition de comprendre les rouages de cette progression et de réagir rapidement.

Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club

Catégories :Challenge Polars et Thrillers, Documentaire, essai..., Les avis de Céline C., Littérature française, Payot, Seuil

Tags:polar, polar historique, policier