C’est moi qui nettoyais.

Après l’orage, le ménage. Y avait du dégât. Un vase cassé. Une bouteille. De la vaisselle. Une chaise. Même la table basse y est passée. Dommage, je l’aimais bien cette table, c’était là que je jouais aux petites voitures quand j’étais tout gamin. Avec le grand napperon au milieu qui servait de rond-point. Bam. Elle est tombée dessus de tout son poids. Épaule déboîtée. Serre les dents, ça se remettra.

Je ramassais les morceaux de l’infraction. Je passais l’aspirateur. Je passais la serpillière quand il fallait. Certaines taches avaient du mal à partir. La vie en rouge. Je frottais, je frottais. Je voulais que ce soit nickel. Aucune trace. Si je l’avais pas fait, qui l’aurait fait ? Elle. C’est elle qui aurait dû s’y coller. Au moins je lui épargnais ça. Alicia ne bougeait pas le petit doigt. Pas question, elle disait. Juste à planter ses aiguilles, pour rien. Des piqûres de moustique sur le dos d’un taureau. Il le sentait même pas. Il tombait pas malade. Elle avait beau faire sa sorcellerie, il mourait pas.

Moi, je voulais que tout soit bien propre, bien rangé. Au cas où. Imagine qu’un voisin ou une voisine débarque à l’improviste. Madame Cuaz, par exemple. Elle sonne à la porte parce qu’elle a oublié d’acheter de la farine, elle demande si on pourrait pas la dépanner. Ses petits-enfants viennent lui rendre visite et elle veut leur faire des crêpes. Imagine si elle voit tout le bazar dans le salon, les bouts de verre par terre et la table basse fracassée, qu’est-ce qu’elle va dire ? Ou bien le père Pastore. Possible. Dans le lotissement, c’est lui qui habitait la maison la plus proche de chez nous. Il aurait pu se pointer parce qu’il avait entendu quelque chose, des bruits bizarres, des cris, un sacré boucan. « Bon sang ! Qu’est-ce qui se passe ici ? » Rien du tout. Il se passe rien du tout, monsieur Pastore. Regardez, tout est impeccable. Tout est parfaitement normal.

Je ne voulais pas qu’ils posent des questions. Mais c’est jamais arrivé. Ni madame Cuaz, ni monsieur Pastore, ni personne. Heureusement nos voisins étaient sourds. Nos voisins étaient aveugles. Apparemment ils se sont jamais rendus compte. Des lâches, dit Alicia.

Elle dit pas « comme toi », mais sûrement qu’elle le pense. Elle pense que ça m’arrangeait bien, en tout cas. De faire semblant. Faire comme s’il ne s’était rien passé. Faire le ménage. Pousser la merde sous le tapis et faire comme s’il n’y en avait pas.

Ou faire comme si toute cette merde était un magnifique bouquet qui sent bon. Des lys. C’est maman qui lui avait donné ce surnom : Lys. Elle enfonçait son nez dans les cheveux de ma sœur, elle inspirait un grand coup et elle disait : « Hum, ça sent bon ! » Ma petite fleur.

Ma petite fleur, elle l’appelait.

Moi, il m’appelait têtard.

Bâtard, je l’ai rajouté. Ça rime.

C’est pas parce que c’est caché que ça n’existe pas.

Parution : 5 mars 2025 – Editeur : Rageot – Pages : 64 – Genre : littérature française, thriller, violence faites aux femmes, violences faites aux enfants, drame

Ne te trompe pas : on était juste témoins. Les coupables, c’est pas nous.

Un garçon et une fille, debout devant une tombe, celle de leur mère. Quatre ans après le drame, ils sont prêts à parler. À raconter ce qu’il se passait chez eux, derrière les portes closes.

Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club

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