Premières lignes… Ajisaï de Aki Shimazaki

Le cours terminé, nous sortons de l’amphithéâtre insonorisé. Dans le couloir, on s’étonne de voir par les fenêtres une pluie torrentielle. Les rafales de vent agitent violemment les arbres. Les coups de tonnerre se succèdent. Soudain, un éclair fend le ciel et la foudre tombe tout près dans un fracas assourdissant.


— Oh là là ! Quel orage ! crient les filles en se bouchant les oreilles.

Ma montre indique quatre heures dix. Je n’ai plus cours cet après-midi. Je comptais rentrer tout de suite chez moi, mais il est préférable de rester un peu ici. Je pense à mon amie Saya et commence à composer son numéro de téléphone.

Après quatre chiffres, je m’interromps, réalisant qu’elle est encore au travail.

Je me dirige vers la cafétéria au bout du couloir. Dans un coin à l’écart, je remarque plusieurs étudiants rassemblés devant un panneau d’affichage. Je me rapproche
par curiosité. Ce sont des offres d’arubaïto* d’été, ainsi que des annonces de prêts et bourses d’études, qu’on appelle collectivement shôgakukin. Cela ne me concerne pas car mes parents couvrent toutes mes dépenses.

Je m’éloigne en bâillant.

J’entre dans la cafétéria et m’achète un café. En cherchant une chaise, j’aperçois mon ami Ben assis à une table devant la fenêtre. Il lit le journal étudiant. Je ne l’ai pas vu depuis deux mois. Nous sommes tous deux en quatrième année mais pas
dans la même faculté : lui en économie, moi en littérature. Levant la tête, il me reconnaît aussitôt et m’invite d’un signe de la main. Je le salue et m’installe en face de lui. Il s’exclame en refermant le journal :

— Quel temps affreux ! Ma copine a annulé notre rendez-vous.

Lui et moi sommes amis depuis le début de l’université. Son prénom est Tsutomu mais on l’appelle Ben, car son kanji 勉 se prononce “ben” en on’yomi.

— Quoi de neuf ? demandé-je.
— J’ai un entretien d’embauche demain avec un médecin nommé Oda. Il est propriétaire d’une clinique dans le quartier Azabu. Regarde. Il me tend son portable où apparaît la photo d’un bâtiment imposant. Comme il travaille à temps partiel dans un restaurant, je le taquine :

— Que devras-tu faire ? Cuisiner pour les infirmières ?
— J’aimerais bien, rit‑il. Il s’agit plutôt d’être tuteur pour son fils en dernière année de primaire.
— Pendant les vacances ?
— Eh oui. Monsieur Oda et sa femme souhaitent que leur enfant soit admis au collège J. C’est une institution d’élite. Si je parviens à l’aider, mon tutorat sera reconduit à l’automne.

Ben déplie un morceau de papier et me lit les détails. Je l’écoute, curieux. “Chaque semaine, deux séances de deux heures, dont la moitié pour l’initier à de nouveaux défis intellectuels ou physiques.” Le tarif horaire m’étonne : cinquante pour cent de plus que la moyenne. Je calcule dans ma tête le salaire hebdomadaire.

— Tu vas gagner beaucoup, Ben !
— Cette offre ne passe pas par une agence, ajoute-t‑il. Un grand avantage pour le tuteur. J’espère que le médecin m’acceptera.
— Tu es joyeux et sportif. Tu n’auras pas de problème.
— Merci, Shôta. Mais, avec un tarif aussi élevé, il doit y avoir de nombreux candidats. Il vaut mieux ne pas trop espérer.

Ben loue une chambre chez un couple d’âge mûr. Ses parents assument seulement les droits de scolarité et il doit payer le reste. L’année dernière, lorsqu’il cherchait un arubaïto d’été, je lui ai proposé de travailler dans le grand magasin de mon père à Ôtsu. Il a décliné car c’était trop loin de Tokyo. Néanmoins, il me témoigne toujours
sa gratitude. Il souhaite devenir shôsha-man et entrer dans la compagnie de commerce T. Il sait que je compte faire une maîtrise en littérature.


Parution : 7 mai 2025 – Éditeur : Actes sud – Pages : 176

Shôta est étudiant en littérature et rêve de devenir écrivain. Lorsqu’il apprend que sa famille, qui l’a toujours aidé, se heurte à des difficultés financières, il doit chercher une solution pour subvenir seul à ses besoins. Alors qu’il se résout à cumuler les emplois, se présente à lui la chance inespérée d’occuper une dépendance de la maison de campagne d’un couple marié. C’est là qu’il rencontre madame Oda, la propriétaire, musicienne troublante avec qui il va retrouver le goût du piano – une rencontre digne des plus beaux romans d’amour.


Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club



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10 réponses

  1. bonjour, comment vas tu? merci pour la découverte. passe un bon mercredi et à bientôt!

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  2. Ça me donne tellement envie. Mais je veux d’abord découvrir sa plume sur celui d’elle que j’ai trouvé en occasion avant de me lancer à tout acheter xD

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  3. Merci Julie pour ces quelques lignes ; le Japon est moi, ce n’est pas une grande histoire d’amour, mais il y a quelque chose dans ce résumé et cet extrait qui m’intriguent. Ce roman fait partie d’un ensemble ?

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Rétroliens

  1. Bilan lectures mai 2025 – Ju lit Les Mots

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