
Depuis que je ne sors presque plus je passe beaucoup de temps dans un des fauteuils, à relire les livres. Je ne me suis intéressée que récemment aux préfaces. Les auteurs y parlent volontiers d’eux-mêmes, ils expliquent pour quelles raisons ils ont rédigé l’ouvrage qu’ils proposent. J’en suis surprise : n’était-il donc pas plus évident dans ce monde-là que dans celui où j’ai vécu de transmettre le savoir qu’on a pu acquérir ? Ils semblent souvent sentir la nécessité de préciser qu’il n’y a pas d’immodestie dans leur entreprise, qu’on leur a demandé d’écrire et qu’ils ont hésité avant d’y consentir. Comme c’est curieux ! Cela donne à penser que les gens n’étaient pas avides de s’instruire et qu’il fallait demander à être excusé de vouloir communiquer ses connaissances. Ou bien ils disent pourquoi ils ont estimé qu’il convenait de publier une nouvelle traduction de Shakespeare, les précédentes, si louables qu’elles soient, présentant telle ou telle imperfection. Mais pourquoi traduire alors qu’il devait être si simple d’apprendre les différentes langues et de lire tous les ouvrages qu’on voulait sans passer par un intermédiaire ? Ces choses-là me laissent toute perplexe. Il est certain que je suis fort ignorante : apparemment, j’en sais encore moins que je croyais. Ils parlent avec reconnaissance de ceux qui les ont formés, leur ont ouvert tel ou tel domaine du savoir et, comme je n’entends rien à ce dont il s’agit, je lis en général cela avec une certaine indifférence.
Mais hier, brusquement, mes yeux se sont remplis de larmes, j’ai pensé à Théa et une terrible vague de chagrin m’a traversée. Je la revoyais, assise sur le bord d’un matelas, les genoux de côté, cousant patiemment avec son mauvais fil de cheveux tressés qui cassait tout le temps, s’arrêtant pour me regarder, étonnée, prompte à se rendre compte de mon ignorance et à m’enseigner ce qu’elle savait en se désolant que ce soit si peu, et j’ai senti une immense déchirure, je me suis mise à sangloter. Je n’avais jamais pleuré. J’avais aussi horriblement mal à l’âme que le cancer me fait mal au ventre et, moi qui ne parle plus jamais car il n’y a personne pour m’entendre, je me suis mise à l’appeler, je répétais « Théa ! Théa ! », j’étais incapable de tolérer qu’elle ne soit pas là, qu’elle ait laissé la mort s’emparer d’elle, l’arracher à mes bras maladroits, je me suis reproché de ne pas l’avoir retenue, d’avoir compris qu’elle n’en pouvait plus, je me suis dit que je l’avais abandonnée parce que j’étais toute roide, comme je l’ai été toute ma vie, comme je le serai en mourant, que je ne pouvais pas la serrer avec chaleur, que mon cœur était figé, stupide, et que je n’avais pas senti que j’étais désespérée.
Parution : 30 avril 2025 – Audio : 16 juillet 2025 – Éditeur : Seuil, Audiolib – Pages : 272 – Temps d’écoute : 7 heures – Narrateur : Lola Naymark – Genre : littérature belge, thriller dystopique, dystopie, thriller, fantastique, science-fiction, imaginaire, post-apocalyptique, femmes
Elles sont quarante, enfermées dans une cave, sous la surveillance de gardiens impassibles. La plus jeune – la narratrice – n’a jamais vécu ailleurs. Si les autres femmes ne se rappellent pas comment elles sont arrivées là et n’ont aucune notion du temps, il leur reste un vague souvenir de leur vie d’avant, qu’elles lui transmettent.
Mystérieusement libérées de leur geôle, elles entreprennent une longue errance à la recherche d’autres humains – ou d’une explication – sur une terre désertée.
Ju lit les mots
– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Membre the funky geek club
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Le titre interpel assurément et ces premières lignes ont quelque chose de touchant et déchirant.
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Oui le titre est vraiment incroyable et l’écoute l’a été aussi 😉
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Cet extrait m’intrigue ! merci pour le partage Julie
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Avec plaisir 🙂
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Je ne connais pas ce roman dont on a pourtant beaucoup parlé. Bon week end
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C’est un roman au carrefour des genres 😉 Bon week-end Pat
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Que c’est étrange… ça a l’air bien triste, en tout cas ces lignes le sont à mon goût. Je suis curieuse de ton retour !
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c’est une lecture singulière, vraiment. J’essaie de poser mes mots pour vous en parler rapidement, mais j’ai du mal, parce que c’est une œuvre singulière, que j’ai beaucoup apprécié
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