Chronique d’une transmission ancestrale : Nos silences sont immenses de Sarah Ghoula


Quand les patients se présentaient auprès de la vieille guérisseuse, sa silencieuse élève, dans la chambre ombragée, écoutait avec attention. Et puis très vite, comme elle appliquait les consignes de sa maîtresse, elle n’entendait plus leurs paroles, mais seulement les vibrations, les fréquences et les palpitations. Et en quelques semaines, elle se mit même à entendre les souffrances de leurs aïeux, car aucun mal ne repose sur une seule âme, il provient toujours d’une lignée plus grande, vertigineuse et viciée  : c’est un somptueux et monstrueux héritage universel.


Zohra, petite fille, est destinée à un destin que les femmes se transmettent. Elle sera guérisseuse. Sous l’aile de Lalla M’barka, guérisseuse respectée, Zohra apprend à écouter, à toucher, à comprendre le monde autrement.

Sarah Ghoula compose ici un roman de transmission féminine : celle des savoirs invisibles, de la parole chuchotée, de la mémoire transmise de femme à femme. L’auteure s’inscrit dans la continuité d’une tradition orale et spirituelle, où le conte et le témoignage se confondent.

L’atmosphère est baignée de soleil et de mystère. On sent le sable, les herbes médicinales, le souffle chaud du vent. La narration, fluide et pudique, fait entendre une voix qui semble venir d’un autre temps.

Ce qui frappe d’abord, c’est la plume simple, sans fioriture. On sent que l’auteure a essayé de retrouver la musicalité des contes orientaux, en y glissant toute la pudeur qu’elle ressent pour cet héritage des savoirs ancestraux.

Certaines pages sont de véritables incantations : elles se lisent comme des prières ou des chansons anciennes. Il y a, dans cette prose, quelque chose de profondément spirituel, sans jamais verser dans le mystique appuyé.

Pourtant, malgré la beauté du propos, j’ai parfois été freinée par la plume. J’aurais souhaité qu’un vrai travail de relecture soit fait, quelques coquilles, des fautes d’accord, des virgules mal placées viennent interrompre le fil de la lecture, en tout cas suffisamment pour rompre la musicalité de certaines pages. Dans un roman aussi sensible à la langue, ces maladresses se remarquent d’autant plus. J’aurais aimé qu’un soin particulier soit apporté à la relecture et à la correction, afin que rien ne vienne troubler la justesse du propos.

A l’heure où le savoir valorisé n’est que de façade, souvent technique et lié à la technologie, cela fait du bien de retrouver les liens profonds qui unissent chaque être humain à la nature et aux traditions orales transmises de génération en génération.

Malgré ces défauts, inhérents aux premiers romans, mais qui auraient en partie pu être gommé par un travail éditorial de qualité, Nos silences sont immenses demeure un texte profondément touchant.

Ce que Sarah Ghoula parvient à transmettre, c’est la dignité du silence, la puissance d’un mot, la transmission des gestes et surtout le savoir ancestral que des lignées de femmes se transmettent pour écouter, soigner et apaiser les cœurs et les douleurs.

J’y est retrouvé tout le savoir des tatouages berbères qui se transmettaient de femmes en femmes et dont chaque motif était un rituel.

Premier roman de Sarah Ghoula, on entre dans ce livre comme dans un lieu de mémoire, entre désert et lumière, où chaque geste, chaque regard, porte le poids des traditions et de la transmission.


Parution 27 mai 2022 – Éditeur : Faces cachées – Pages : 180 – Genre : littérature algérienne, féminisme, transmission, contes

C’est le destin d’une jeune fille venue au monde sans pleurer, mais dont l’existence est comme un grand cri. Le parcours mystique de Zohra prend forme dans un village éloigné d’une Algérie occupée. La jeune fille grandit dans l’ombre de ses soeurs, mais croise un jour le regard d’une guérisseuse qui voit en elle un potentiel infini. Forte de ce pouvoir, Zohra voit croître sa réputation et tout le monde se presse à sa porte. Différents dilemmes moraux s’offrent alors à elle.


Le mois Africain 2025 chez Sur la route de Jostein


Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club



Catégories :Contemporain, Faces cachées, Le mois Africain, Littérature algérienne

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28 réponses

  1. Un roman qui me plairait beaucoup, surtout car j’adore le côté conte oriental. C’est dommage, en revanche, pour les coquilles. C’est vrai que ça gâche le plaisir de lecture, d’autant plus quand, comme ici, le texte est touchant.

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  2. C’est vraiment dommage pour la relecture manquante, mais la maison d’édition (que je ne connaissais pas) a réalisé une très belle couverture qui semble en parfaite adéquation avec la douceur de la plume.

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  3. C’est bien que tu aies malgré tout réussi à te détacher du manque de travail éditorial pour apprécier la plume et le propos, j’avoue que parfois, ce genre de problèmes me sort trop du texte !

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  4. J’aime beaucoup cette idée de transmission des savoirs ancestraux. C’est le genre de roman qui pourrait me plaire

    Merci pour ce beau retour et pour la découverte Julie 🥰

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  5. Avatar de ducotedechezcyan

    Dommage que l’éditeur n’ait pas été plus sérieux dans son travail de correction… C’est le genre de texte qui m’intéresse, mais je n’ai pas assez de patience pour les livres bourrés de coquilles…

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  6. Une thématique qui ne m’attire guère. C’est dommage pour les coquilles. Bonne journée

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  7. Quel dommage pour ce manque de soin apporté au travail d’édition.

    Mais j’aime ces récits de transmission des mères ( et je pense toujours au merveilleux Cœur cousu de Carole Martinez). L’oralité est une composante importante de la littérature africaine.
    Et bien sûr cela me rappelle aussi ma lecture d’Une femme sans écriture de Saber Mansouri

    Merci pour tes nombreuses découvertes en ce mois africain.

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    • Oui vraiment dommage, heureusement, cela ne retire pas trop de la qualité du livre.
      J’ai Coeur cousu dans ma PAL et j’ai mis le Saber Mansouri dans ma liste à lire.
      La transmission de femmes en femmes est une composante essentielle effectivement de la culture africaine, l’oralité, tout ce qui est trait aux contes, à la transmission créent des liens et permet de garder une certaine humanité, à mon avis.
      Ma soeur est tatoueuse, mais elle ne fait que les tatouages berbères qui sont transmis de femmes en femmes et lorsque je l’écoute, me parler de cet héritage, cela me passionne !
      Avec plaisir ! Tu m’as donné l’impulsion, pour tout ces livres qui attendaient patiemment depuis un moment. Alors merci à toi 🙂

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  8. ça pourrait me tenter une fois les coquilles corrigées 🙂

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  9. Merci Julie pour ta si belle chronique toute en douceur… Je sens que le texte doit l’être également. Tu as raison de noter ce manque de rigueur éditorial, c’est dommage ces coquilles qui font sortir du texte et de la bulle que les mots avaient su créer.

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    • Merci beaucoup Lilou 🙂 Oui c’est vraiment dommage, j’estime qu’une ME doit pouvoir faire émerger le texte et lui donner toute sa saveur, et je m’en voudrais de ne pas en parler, par respect pour ceux qi viennent lire mes avis et aussi pour l’auteure, car cela reste indépendant d’elle en l’occurrence…

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  10. C’est vraiment dommage que la forme ne soit pas à la hauteur du fond. Le sujet est beau mais la forme gâche tout. Merci Julie, passe une excellente soirée 🙂📚

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  11. je suis assez loin de ce genre de pratique , mais j’ai lu avec intérêt ton billet.

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  12. Venant de lire Une reine sans royaume, je retrouve un peu l’atmosphère de ces femmes d’une culture autre que la nôtre mais pas si lointaine, avec une sororité nécessaire pour survivre et tellement de belles et riches valeurs. Bref, je suis tentée de retourner dans ces contrées avec ce roman.

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