Interview Marceline : Selon Magali Discours, Toutes les histoires commencent par une petite faim…

Le 12 mai sortait le deuxième livre de Magali Discours, Toutes les histoires commencent par une petite faim. Rappelez-vous : le premier, Quand les hasards sont des rendez-vous, avait obtenu le Prix des Auteurs Inconnus 2019, dans la catégorie Littérature Blanche avant d’être publié chez L’Archipel en juin 2021.

Autant dire que le deuxième était très attendu !

Ce nouveau titre a l’air d’une boutade, mais comme souvent, le jeu de mot est porteur d’une vérité : l’identité n’est pas uniquement transmise par les histoires, elle l’est aussi par les gestes et les goûts, notamment transmis en cuisinant.

Deux sœurs, Margaux et Alice, avaient 4 et 16 ans quand elles ont perdu leurs parents. Elles ont été élevées par leurs grands-parents. Margaux, la plus jeune, a grandi sans repère pour savoir qui elle est. Mais Alice cuisine, notamment en suivant un livre de recettes qui se transmet de génération en génération depuis plusieurs siècles. Elle connaît les histoires de famille qui sont derrière ces recettes, et elle les lui raconte.

Le roman est construit autour de cette alternance très agréable : des chapitres qui racontent l’histoire de ces deux sœurs, qui se passe aujourd’hui ; des pages où l’autrice nous donne carrément quelques recettes ; et des chapitres où la grande sœur raconte l’histoire des ancêtres qui ont inventé ou transmis cette recette-là. Il y a l’Italie du 16ème et du 17ème siècles, la Bretagne du 18ème, Marseille au 19ème siècle… et à chaque fois, une très longue histoire est racontée, à la manière des veillées d’autrefois : elle est portée par la voix de la sœur, elle s’adresse à un public.

La grande sœur transmet ainsi une identité à la plus jeune. Elle la lui transmet par ces histoires, mais aussi par les gestes de la cuisine, qu’elles font ensemble, par les odeurs et les goûts. J’ai eu très envie de demander à l’autrice de nous parler de ses propres liens avec la cuisine, la transmission familiale, et nos héritages !


Magali, dans ton roman, Margaux et Alice sont héritières de recettes transmises à la fois par une lignée de femmes passée par l’Italie, et une lignée d’hommes passés par la Bretagne, l’Islande puis Marseille. La cuisine, l’affaire de toutes et tous ?

On vient sur cette terre et l’on en repart tout nu, mais avec une mémoire collective et familiale. Cet héritage immatériel se transmet essentiellement par les femmes. Peut-être que les choses changent aujourd’hui, mais jusque-là ce sont les mères qui ont perpétué les rites, les usages, car elles ont toujours eu en charge l’éducation des enfants. Ce sont elles, les passeuses d’histoire, les gardiennes du trésor. J’ai cette idée un peu floue que les pères transmettent les livres et les mères enseignent à lire et à écrire.

Pour moi, le patrimoine, c’est l’œuvre d’art, le « matrimoine » c’est la magie de sa création. Dans un monde où ce qui a le plus de valeur est matériel, je voulais parler de ce que l’on reçoit et de ce que l’on offre sans passer par le notaire.

Mais je ne crois pas un monde d’Amazones et je n’avais pas l’intention d’exprimer un féminisme forcené ! Je pense que les femmes sont ce qu’elles sont dans leurs rapports aux hommes. Donc bien sûr, les hommes donnent aussi leur part dans ce roman. J’ai choisi le poisson et le pain dans cette lignée d’héritage, car ces deux aliments sont le fruit du labeur des hommes, ils évoquent aussi la peine et les douleurs, les déchirements, les séparations et les terres perdues.

Ce roman parle de nos héritages invisibles, mais immensément précieux : nos appétits, les saveurs, la mémoire, les plaisirs, la curiosité, et les amertumes aussi. Ce qui compte vraiment n’est pas tant ce que l’on reçoit que l’envie d’accomplir les gestes à son tour, l’envie d’apporter son « grain de sel », de chercher, de savoir, de croire, de rêver et de transmettre.


Ton livre est un roman, mais il prend le temps de donner les recettes emblématiques que la famille de Margaux et Alice se transmet de génération en génération. Est-ce qu’il s’agit de recettes de familles ? Laquelle est ta préférée ?

Je laisse une grande part à l’imagination. Dans le roman, il est difficile de savoir ce qui est vrai ou inventé, car au fond nos souvenirs, nos héritages ne charrient pas que des vérités. Les preuves matérielles finissent toujours par manquer. Nos histoires familiales et personnelles sont le fruit d’expériences réellement vécues, mais aussi de récits colportés et déformés avec leurs petits arrangements, mensonges, secrets, et suppositions… On se sent souvent plus riche d’une belle légende que d’une piètre histoire. C’est pour cette raison que les contes ont une place importante dans mon roman. Alice visite son propre pays des merveilles. Je suis convaincue que notre imaginaire possède quelques vérités et que la cuisine et l’art nous racontent des choses vraies !

N’hésitez pas à essayer les recettes proposées dans le roman ! Ce sont des cadeaux d’ancêtres, évidemment arrangés à ma sauce… Je les ai moi-même reçues de différentes manières, de ma propre famille ou des membres de famille de cœur. Elles ont toutes été éprouvées avec bonheur et sont notées à la main dans un vieux cahier que mes enfants retrouveront peut-être un jour avec émotion dans le deuxième tiroir du bas dans ma cuisine.

J’aime beaucoup la recette des oreilles d’Haman parce qu’elle a aussi une dimension sacrée, elle est née d’une légende, d’un mythe, et pour moi c’était la meilleure recette possible pour entrer en matière, en cuisine et en histoire ! Dans mon récit, ces biscuits transportent des messages, un amour secret, ils sont l’unique lien entre des personnes que tout sépare. C’est un biscuit de la tradition juive mais il devient œcuménique : un biscuit de communion entre des gens qui s’aiment quelles que soient leurs origines ou leurs religions.


L’identité peut être la somme de caractéristiques objectives, repérables grâce à un test ADN. Mais dans ton livre, tu défends l’idée que c’est bien plus large que ça… qu’est-ce qui fait notre identité, selon toi ?

Je suis porteuse d’une histoire d’ancêtres déracinés et j’ai toujours eu la curiosité de me demander quelles aventures avaient fait que finalement je me trouve là ! Je me suis beaucoup intéressée à la généalogie et j’ai même tenté le test ADN. Toutes ces recherches très concrètes, documentées, voire scientifiques, n’ont fait que confirmer ce que je pressentais : nos racines sont les liens d’amour que nous entretenons avec des personnes, avec des lieux, des paysages et des saveurs. Ce que j’ai le plus aimé chez les ancêtres retrouvés sur les registres, c’est tout ce que j’ai imaginé d’eux. Ce qui m’a le plus touché au sujet des pays inscrits dans mon ADN, c’est l’histoire des gens qui y vivent aujourd’hui comme des peuples entiers de cousins avec leurs traditions, leurs artistes géniaux, leur cuisine… Et il me semble que c’est un véritable trésor dont je suis dépositaire et que je transmets à ma façon avec ce roman.  

Quand je voyage — donc quand je vais à la découverte de l’autre —, ma curiosité prend toujours les deux mêmes directions : le restaurant et le musée. C’est par ces biais-là que je comprends le mieux les hommes et les femmes, le paysage dans lequel ils vivent, les saisons qui les traversent les sentiments qui les animent.


Le thème principal est la transmission de l’identité entre générations par la cuisine, mais l’art occupe aussi une grande place : les deux sœurs sont restauratrices, l’une dans la cuisine et l’autre dans la peinture. La cuisine est-elle un art ?

C’est un roman qui parle de cuisine, mais peut-être avant tout du pouvoir de l’imagination dont l’art et la gastronomie sont d’après moi, les meilleurs véhicules. La cuisine est pratiquée par des amateurs, des artisans et de grands virtuoses, elle peut donc s’élever au rang des arts majeurs.

Toutes les histoires commencent par une petite faim raconte nos héritages, ce qui parvient jusqu’à nous à travers nos histoires familiales. Ce qui se transmet le plus assurément dans les aléas du temps, c’est le geste ! L’œuvre peut se perdre, être dévoyée, mystifiée. Or le vrai trésor, c’est ce don souvent inconscient et immatériel : la répétition d’un geste, l’écho d’une histoire. Nous ne recevons pas toujours un bel objet d’art parfait et accompli bien rangé dans une armoire ou dans un coffre, mais nous recevons assurément une force créatrice et des outils pour modeler nos propres œuvres. 

Ainsi, les deux sœurs de mon histoire découvrent aussi qu’elles sont les héritières d’un tableau de maître, qui a été perdu. Mais il reste l’essentiel à Alice : l’envie de peindre ! Il y a aussi ce questionnement sur la paternité de l’œuvre d’art : au fond ce qui compte vraiment c’est ce que l’on ressent et ce qui pousse à agir.

Pour moi, la cuisine est l’exemple même de cet héritage dont on a mangé l’œuvre, mais dont il nous reste les sensations et les émotions comme une porte ouverte.


Découvrez mon avis complet sur le journal 20 minutes

Parution : 12 mai 2022 – Éditeur : L’Archipel Pages : 275 – Genre : Littérature générale, Feel good, secrets de familles,

Il faut frapper à toutes les portes avant de trouver celle qui mène jusqu’à soi…Après des années d’éloignement de sa famille, Alice se demande où la mène sa vie. Elle s’installe quelques jours chez Margaux, sa sœur de douze ans son aînée, qui tient un petit restaurant dans la campagne bourguignonne. Margaux est douée pour le bonheur, elle sait s’entourer de bons compagnons de route et son appétit de vivre l’aide à surmonter ses propres difficultés.
Dans la cuisine de son restaurant, elle emmène en voyage Alice, qui découvre que les saveurs permettent d’accéder à l’invisible. De la bouche à l’imaginaire, les ancêtres oubliés reprennent vie par la magie de quatre recettes cuisinées par Margaux. Alice explore les histoires qui l’aideront à construire son avenir et à accepter l’imprévisible.
Et si le secret de nos origines étaient inscrits dans nos papilles ?



Catégories :Interviews

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