
12 août 1961 – Île de Rügen, Allemagne de l’Est
Joachim retire son pied de l’eau. Elle est froide, même en août. Ses amis barbotent dans la mer, le taquinent, lui crient de venir, mais parce qu’il déteste l’eau froide, ils savent qu’il ne les rejoindra pas.
Il repense à la veille au soir. La bière des ouvriers. La sueur. Les corps serrés les uns contre les autres. Des tâtonnements et des baisers dans les coins. Il n’a jamais connu des vacances comme celles-ci, pas une seule fois au cours de ses vingt-deux années d’existence, et il ne veut pas qu’elles se terminent. Une forêt d’un vert intense couvre les falaises de craie derrière lui, des aigles à queue blanche tournoient dans le ciel et la mer est si limpide qu’il distingue des poissons minuscules qui filent dans l’eau.
Plus qu’une semaine et ils rentreront à Berlin-Est. À trois cents kilomètres au sud, c’est un autre monde. Gris. Nerveux. Encore plus depuis quelques mois. Ils ont tous remarqué les changements : davantage de garde-frontières dans les rues, l’accroissement du nombre de gens s’enfuyant vers l’Allemagne de l’Ouest, comme s’ils savaient quelque chose. Il y a de l’électricité dans l’air, ce bourdonnement avant l’orage.
Levant les yeux, Joachim voit son meilleur ami, Manfred, patauger hors de l’eau. Ils se connaissent depuis l’âge de six ans, ont fumé leurs premières cigarettes ensemble, échafaudé des farces à l’école. Manfred se disputait sans arrêt, mais Joachim était un élève qui ne se faisait jamais prendre, savait toujours où était la limite… et ne la franchissait jamais.
Ce soir-là, Joachim et Manfred mettent jeans et T-shirts, se peignent et s’avancent sur le sable en direction de la tente à bière. Une nouvelle soirée dans ce paradis en bord de plage aux confins de l’Allemagne de l’Est, deux garçons de vingt-deux ans dans la légèreté d’un long été, sans aucun endroit où ils seraient tenus d’être.
Ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils sont à l’endroit précis où le gouvernement le souhaite pour des jeunes gens comme eux : des jeunes hommes susceptibles de créer des problèmes s’ils savaient ce qui allait se produire. Car, en ce moment même, des douzaines de tanks roulent vers Berlin-Est et des dizaines de milliers de soldats se glissent dans des camions, armés de kalachnikovs, de mitrailleuses et de missiles antichars. D’un instant à l’autre, ils recevront leurs ordres et l’opération commencera.
Parution : 15 février 2023 – Éditeur : Stock – Pages : 416 – Traduction : Jacqueline Odin – Genre : témoignage, guerre froide
C’est l’histoire vraie d’une extraordinaire évasion. Durant l’été 1962, un groupe d’étudiants creuse un tunnel de 135 mètres de long sous le mur de Berlin. De l’autre côté, à Berlin-Est, des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants risquent leur vie pour s’échapper.
Mais comment creuse-t-on un tunnel dans le pays le plus étroitement surveillé du monde, sans pouvoir utiliser des engins bruyants ni acheter des outils faute d’argent ? Comment s’éclairer, comment respirer quand l’air se raréfie ou éviter de mourir noyé en heurtant une canalisation ? Et si, malgré tous ces obstacles, on réussit à atteindre le but, que faire si la police secrète attend au bout du tunnel ? S’appuyant sur des centaines d’heures d’entretiens avec des survivants et des milliers de pages d’archives de la Stasi, la journaliste Helena Merriman retrace l’aventure de Joachim Rudolph, l’étudiant à l’origine de ce projet fou. Avec un formidable sens du récit, elle restitue l’odeur de l’argile, le poids de la terre, les bruits des passants au-dessus de sa tête, la peur constante d’être écouté par la Stasi, et l’étrange accord passé avec la télévision américaine, qui filme la tentative d’évasion au risque d’une explosion géopolitique.
Par-dessus tout, Tunnel 29 raconte l’histoire d’une liberté volée, et du combat acharné pour la retrouver.
Catégories :Un livre, un extrait...
Ça sent la version optimiste de « L’Espion qui venait du froid », mais réel !
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C’est un peu ça 😉
J’ai hâte de découvrir ce drôle de livre…
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