Nos cœurs disparus de Celeste Ng

Oh non, dit-elle, on ne brûle pas les livres, chez nous. C’est l’Amérique, pas vrai ?
Elle le dévisage en haussant un sourcil. Sérieuse, ou ironique ? il n’arrive pas à le dire.
On ne brûle pas nos livres, poursuit-elle. On les pilonne. Beaucoup plus civilisé, n’est-ce pas ? On en fait de la pulpe et on les recycle en papier toilette. Ça fait longtemps que ces livres ont servi à torcher les fesses de quelqu’un.

J’avais particulièrement aimé La Saison des feux dans lequel Celeste Ng construisait un roman où elle explorait une certaine catégorie de la population américaine, livrant une vraie étude sociétale.

Avec Nos Cœurs Disparus, Celeste Ng, pousse plus loin la réflexion, en poussant le lecteur à réfléchir de son côté. Elle explore un monde dystopique riche aux thématiques abondantes, mais complexes, tout en décortiquant la complexité des relations familiales, les secrets enfouis et les conséquences de choix passés. Ng excelle à dépeindre les émotions humaines avec une grande sensibilité, ce qui rend ses personnages incroyablement réalistes et attachants.

Tout en abordant des thèmes profonds tels que la culpabilité, le deuil, le racisme et l’identité avec une subtilité qui donne matière à réflexion, elle dépeint un monde totalitaire, qui a des relents historiques encore bien présents. Même si elle a débuté l’écriture de son récit en 2016, c’est surtout la pandémie en 2020 qui lui donne les clés d’un récit encore plus aboutit. Force est de constater que le coronavirus était nommé le virus-chinois, occasionnant une certaine défiance, voir un rejet des personnes d’origine asiatique. Ce qui, il faut le reconnaître, a aussi été le cas ailleurs de par le monde.

L’auteure aurait pu se contenter d’exploiter cette thématique, pourtant elle part à contre-courant et s’engouffre dans un monde fictionnel, tout en gardant une cohérence bien réelle, dans lequel une crise économique majeure a détruit une partie de l’économie et dont sont accusés les ennemies, à savoir les Asiatiques…

Les restrictions viennent toucher non seulement les libertés, mais aussi les droits les plus fondamentaux. La liberté ne tient qu’à un fil, les livres sont peu à peu retirés, car jugés contraire à la morale, les enfants dont aussi retirés de leur familles jugées dissidentes qui sont muselés par le pouvoir.

Pour survivre, il faut faire profil bas, ne pas se faire remarquer, devenir invisible…

Il n’est pas loin le temps de l’internement des Nippo-Américains lors de la Seconde Guerre mondiale qui a vu la déportation et l’incarcération d’environ 120 000 civils ressortissants japonais et américains d’origine japonaise dans des centres de relogement précaires et éloignés. On pense aussi aux enfants indigènes retirés de leur foyer et placés dans des familles adoptives, dans des familles d’accueil ou dans des institutions. La plupart ont été placés dans des familles blanches ou dans des pensionnats, pour tenter de les assimiler. Et beaucoup plus récemment les enfants d’origine mexicaine… L’histoire des Etats-Unis est jalonnée de ce type d’exemple et l’auteure, tout en exploitant ces thématiques, garde un profond espoir à travers une vision très optimiste de ses personnages et de l’avenir.

Ce monde dystopique est décrit par bribes tout en étant palpable, sans jamais exploité la question politique à tort ou à raison.

La construction narrative est remarquable, l’auteure, maîtrisant l’art de distiller les indices et les révélations de manière progressive, tout en maintenant le suspense jusqu’à la dernière page. Chaque chapitre apporte de nouvelles perspectives sur l’histoire et sur les relations entre les personnages, créant ainsi une toile complexe et totalement immersive.

Nos Cœurs Disparus est un roman qui ne laisse pas indifférent. Il aborde des thèmes universels avec une grande profondeur et offre une réflexion nuancée sur la nature humaine.

C’est un livre fort qui laisse une trace en nous et cela bien après avoir refermé ses pages, et qui mérite d’être lu par le plus grand nombre !


Parution : 24 août 2023 – Éditeur : Sonatine – Pages : 384 – Genre : dystopie, anticipation, thriller, thriller psychologique, fantastique – Traduction : Julie Sibony

En tendant un miroir à notre présent, Celeste Ng nous offre l’héritier, digne et déchirant, de La Servante écarlate. Etats-Unis d’Amérique, dans un futur pas si lointain. Le jeune Bird Gardner vit seul avec son père sur un campus universitaire. Depuis quelques années, leur existence est rythmée par des décrets liberticides. Le gouvernement a en effet instauré une loi de préservation des traditions, permettant de considérer tout élément de culture étrangère comme suspect, et potentiellement dangereux pour la société.
Les citoyens sont surveillés, les manifestations interdites. Les livres définis comme séditieux sont retirés des bibliothèques. A commencer par ceux de la mère de Bird, la poétesse Margaret Miu, disparue mystérieusement trois ans plus tôt. Le jeune garçon a appris à se désintéresser d’elle, à ne poser aucune question sous peine d’attirer l’attention des forces de l’ordre. Mais le jour où une lettre arrive, ne contenant qu’un mystérieux dessin, il comprend que c’est sa mère qui lui laisse un indice pour la retrouver.
Guidé par un réseau clandestin de bibliothécaires, Bird entreprend alors une quête à la recherche de Margaret qui va le conduire à prendre peu à peu conscience du sort des opprimés et de la nécessité impérieuse de porter leur voix. 

Ju lit Les Mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Membre the funky geek club – Contributrice journal 20 minutes –


Challenge American Year – The Cannibal Lecteur et Chroniques Littéraires (du 15 novembre 2023 au 15 novembre 2024) Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 juillet 2023 au 11 juillet 2024)



Catégories :Challenge An American Year, Challenge Polars et Thrillers, Fantastique/Science-fiction/Uchronie/Dystopie..., Sonatine, Thrillers/Polars

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23 réponses

  1. Ce livre est inoubliable !
    Content de te voir le défendre ainsi

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  2. En te lisant je retrouve les émotions ressenties à la lecture de ce roman qui m’a particulièrement touchée.

    Merci Julie pour ce partage ❤️

    Aimé par 1 personne

  3. Très bel avis sur ce roman dont la richesse des thèmes et l’angle d’approche sont très tentants.

    Aimé par 1 personne

  4. Agréable cette musique additionnelle… Je ne sais pas faire ça mais aimerais bien découvrir comment procéder…

    Aimé par 1 personne

  5. J’avais eu un peu de mal au départ et ensuite, ça avait été mieux. Un roman qui marque et qui restera dans ma mémoire.

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  6. Je l’ai vu beaucoup passer, il a l’air de marquer tout le monde, pour autant, je ne suis pas vraiment tentée… peut-être que je dois attendre le bon moment !

    Aimé par 2 personnes

  7. Tu as raison, un livre fort et marquant, une auteure dont j’ai aimé tout les livres.

    Celui particulièrement, un véritable coup de coeur tant pour l’histoire que la construction de l’intrigue.

    Trop bien que tu l’ai aimé aussi ma Julie 🤩😘

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