
Prologue
Jungle
Colombie 2012
L’envol de dizaines d’oiseaux sauvages jusque-là invisibles résonna comme un coup de feu aux oreilles du paresseux. Il se figea, d’une part parce que sa nature indolente ne le poussait pas à la précipitation, d’autre part parce qu’il craignait d’alerter un éventuel prédateur.
Il retint son souffle. L’air poisseux de la forêt tropicale formait des perles qui ruisselaient sur les algues recouvrant sa fourrure camouflage. Elles dégoulinaient sur son front vert d’eau, lui piquant les yeux. Il les essuya d’un geste lent mettant en évidence les trois griffes acérées qui équipaient ses pattes.
Accroché à son tronc d’arbre, le paresseux fixait la frondaison avec un mélange de tension et de colère. Le bruit sourd qui avait fait fuir les oiseaux n’était pas naturel. Il lui rappelait trop les humains. Ces créatures frénétiques qui s’immisçaient partout avec leurs machines infernales.
Le grondement s’intensifia. Le paresseux ferma légèrement les paupières pour aiguiser sa vision face aux rayons du soleil qui perçaient la canopée.
Quelque chose approchait.
Quelque chose d’énorme.
Une déflagration secoua le paysage et, sous les yeux béants du mammifère, les arbres se mirent à s’affaisser, comme arrachés par le souffle titanesque d’un cyclone. Un monstre métallique en surgit, une locomotive folle qui dévalait le ravin dans un vrombissement déchirant, entraînant derrière elle les cinq wagons qu’elle avait fait dérailler du viaduc. Certains se décrochèrent, emportés par leurs tonneaux, d’autres se soulevèrent, grimpant les uns sur les autres comme des mustangs qui se combattent. Les toitures s’arrachèrent en une débâcle informe de tôle déchirée et de débris de verre. De véritables missiles de fer et d’acier furent projetés à des dizaines de mètres dans les airs, s’abattant sans distinction sur tout ce qui entourait l’épave.
Le paresseux descendit de son perchoir aussi vite qu’il pouvait. Mais vite, pour lui, équivalait au ralenti pour tout autre mammifère. Une chute malencontreuse lui sauva la vie car un fragment de métal chaud le manqua de peu. Il effleura sa nuque et alla se planter juste derrière lui, tel un gigantesque hachoir à viande. Les yeux écarquillés par la peur, le paresseux se dégagea des branchages et découvrit l’atroce spectacle.
Tout ce qu’il restait du train, en contrebas du viaduc, était une masse fumante de métal déformé et de bois brûlé. Le déraillement n’avait duré que quelques secondes, mais des secondes pétrifiées, inoubliables.
Il y eut un bref moment de silence, puis la panique s’empara des quelques survivants. Ils se précipitèrent hors des wagons accidentés, brisant pour survivre tous les obstacles qu’ils rencontraient, se brûlant les mains sur des pièces de métal trop chaud, grimpant par-dessus les banquettes éventrées, piétinant ceux qui agonisaient au sol. Les gémissements de douleur ou de chagrin se perdaient dans le tumulte en hurlements inarticulés.
— Au secours ! Sauvez-moi !
Une haleine noire s’exhalait des wagons au ventre ouvert, tandis qu’ils dégueulaient leurs rares rescapés dans la jungle impénétrable. Leurs roues tordues en l’air accentuaient cette impression de Léviathan terrassé. Et, tandis que cette machine agonisante perdait ses entrailles, le paresseux se déplaçait lentement en direction des cris qui laissaient les fuyards indifférents. La respiration du mammifère se fit plus difficile quand il pénétra dans l’épave. Il regarda autour de lui et ne vit que corps mutilés, chairs calcinées. Mais, au fond du wagon, il crut apercevoir une silhouette qui se découpait en ombre chinoise sur l’incendie. L’humain était à moitié nu, ses vêtements en lambeaux. Il avait l’air de bouger mais peut-être était-ce dû à la lumière vacillante qui dansait sur son dos ? Il se retourna et fixa le paresseux de ses yeux clairs, immenses et dépourvus de regard. La moitié de son visage présentait une plaie profonde sur la joue droite. Il n’en restait qu’une surface sanglante qui se mélangeait à ses larmes. À ses pieds, gisait le corps inerte de celle qu’il n’avait pas réussi à protéger.
Parution : 3 janvier 2024 – Editeur : Calmann-Lévy – Pages : 320 – Genre : polar, thriller
Paris, bureau d’un éditeur bien connu. Alors que Marion Scriba, romancière, parle de son prochain polar, des policiers surgissent et l’interpellent, l’accusant du meurtre qui occupe la France entière depuis deux jours. Sur l’arme du crime, on a retrouvé l’ADN de Marion. En garde à vue, la romancière clame son innocence. Mais l’ADN n’est-elle pas la reine des preuves ?Acculée, Marion ne voit qu’une solution, certes folle : s’évader pour trouver le vrai tueur et se disculper. Wim Haag, un agent d’Europol qui a rendu son badge douze ans plus tôt, est rappelé pour cette enquête à haut risque. Très vite il comprend que quelque chose cloche : comment cette femme à la vie bien rangée, qui passe ses journées à écrire des histoires, peut-elle avoir un tel instinct dans sa cavale ?Entre Wim, persuadé que la fugitive a un secret, et Marion, bien décidée à débusquer celui qui l’a piégée, commence une traque sans merci…
Ju lit Les Mots
– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Membre the funky geek club – Contributrice journal 20 minutes –
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