Chemin de fer ! Diantre ! C’est aujourd’hui que je dois aller chercher Claudine à la gare !
— Rose ! Ma veste et mon chapeau ! Je dois me rendre de ce pas à Saint-Roch ! Ma nièce arrive ce matin !
La domestique épluchait déjà l’ail pour faire mijoter la viande qu’elle venait de couper pour le repas de midi. Elle s’essuya les mains sur son tablier.
— Faut-y réveiller Madame ?
— Pour qu’elle me fasse une scène ? Surtout pas !
— Faut-y préparer la chambre d’ami ? Votre nièce a p’t’ête de grosses malles, n’est-ce pas ? Faut-y que j’demande à Eugène d’atteler la carriole ?
Jules comprit que Rose avait surtout envie d’en savoir davantage. La curiosité était-elle un de ses défauts ?
— Veuillez également m’apporter mon parapluie ! Je m’y rendrai à pied. Nous prendrons une voiture devant la gare pour le retour !
Rose s’en alla chercher les effets de son maître.
Elle n’avait pas appris à lire, mais pouvait causer de la même manière que les gens d’la haute comme disait sa mère. Tout cela à force de les avoir servis toute sa vie. Elle savait que Monsieur était un célèbre écrivain, un homme bien élevé et généreux, qui n’avait pas les mains tripoteuses comme ceux qu’elle avait connus. Ici, on l’autorisait à chômer le dimanche après-midi et elle en profitait pour se promener au Parc de la Hotoie. Madame permettait qu’elle utilise le savon et les bougies de la maison, sans que cela soit pris sur ses gages. Elle pouvait également dormir avec son mari, Eugène, qui était l’autre domestique des Verne. Ils logeaient dans une chambre, un ancien réduit à bois, bien arrangé, avec un poêle, qui se situait dans une dépendance du jardin. À quarante ans, elle avait enfin un vrai lit, elle qui n’avait connu que des recoins d’escaliers moisis ou bien des mansardes de greniers venteux. Jamais Rose n’avait vécu pareil bonheur, même si Madame exigeait qu’elle se levât à cinq heures trente pour aller chercher la première fournée du boulanger Trogneux. Elle lisait la jalousie dans le regard des autres domestiques qu’elle croisait et qui enviaient sa position.

En effet, Jules Verne et sa femme, Honorine, habitaient une demeure bourgeoise du quartier d’Henriville. La plus belle propriété d’Amiens ! On la nommait « la maison à la Tour », car une grande tourelle ronde de brique émergeait, tel un phare, à l’angle de la rue Dubois et du boulevard Longueville.
Cette demeure était, pour Honorine Verne, le signe de sa brillante réussite dans la bonne société amiénoise. L’ancien logis du célèbre notaire Jean-Baptiste Riquier ne manquait pas de brio et d’éclat avec son belvédère qui surplombait toutes les autres constructions des alentours.
La cuisine était l’antre de la domestique et se situait au sous-sol. Les pièces de réception, elles, étaient magnifiques, à commencer par le jardin d’hiver qui faisait office d’entrée, décoré de plantes exotiques choyées par la maîtresse de maison. Sans compter une salle à manger grandiose, un salon lumineux et un fumoir cossu !
Au premier se trouvaient les quartiers du couple et les chambres d’amis. Au second, la bibliothèque et le bureau de l’écrivain.
Jules se plaisait dans cette cité de province où il avait connu sa femme. Depuis son arrivée à Amiens, en 1871, il s’était implanté dans la vie locale. Sa ville natale, Nantes, ne lui manquait plus. Pas même l’agitation de la capitale dans laquelle il avait fait ses études.
Il avait découvert Amiens en 1856, lors des noces d’un ami. Il était alors tombé sous le charme de la sœur de la mariée, Honorine Devianne, une jeune veuve, maman de deux ravissantes petites filles. Il l’avait épousée l’année suivante.
Les filles étant en ménage et le fils qu’il avait eu avec Honorine ayant quitté le domicile, il se réjouissait de l’arrivée de Claudine, la fille de son frère, Paul, qui venait étudier et loger chez lui, à Amiens.
Les bienfaits de la jeunesse ! Claudine, si espiègle, mais si intelligente… Ma préférée, en somme, qui me rappelle tellement Paul avec qui j’ai traversé tant d’aventures… Brave petite, je ne dois pas la faire attendre. En route !
Rose revint et lui tendit, pêle-mêle, son parapluie, son paletot et son chapeau.
— Z’êtes sûr pour la carriole ? Y en a pas pour une heure à l’atteler. Il pleut comme vache qui pisse ! Z’avez bien votre peau de lapin ?
— Rose ! Ne soyez pas pire qu’Honorine ! fit-il en posant sa main sur son abdomen. J’y vais !
Il portait bien sa fourrure. Il ne l’oubliait que rarement. À cause de ses maux chroniques, il s’entourait toujours le ventre pour qu’il restât bien au chaud. C’était sur l’ordonnance d’un médecin qu’il en avait fait l’acquisition et il ne la quittait pas, malgré les cris d’orfraie d’Honorine, lui répétant qu’il s’agissait, sans doute, de plusieurs peaux de chats cousues entre elles. Mais Jules s’en moquait. Il n’aimait pas trop les chats et préférait les chiens. Il caressa la tête de Follet, son grand épagneul picard à poils longs, plutôt pataud, et sortit dans la rue, tout en ouvrant son parapluie.
Parution : 15 mai 2024 – Éditeur : Fayard – Pages : 342 – Genre : policier, polar, polar historique, littérature française
Amiens, 1882. Une ombre rôde la nuit dans les rues de la capitale picarde et les meurtres s’enchaînent. Provocateur et sans limites, l’assassin signe ses crimes odieux du nom de Nemo, le célèbre personnage de Vingt mille lieues sous les mers, dans des lettres qu’il envoie à la presse.
Jules Verne va devoir, bien malgré lui, se lancer à sa poursuite, avec l’aide du nouveau commissaire de la brigade criminelle et d’un mystérieux journaliste, tous deux fraîchement débarqués de Paris. Le drôle de trio ne reculera devant rien et exploitera au mieux les compétences de chacun pour élucider cette affaire et tenter d’arrêter Nemo, un des premiers tueurs en série de l’Histoire.
Ju lit les mots
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Il est dans ma wish list 🙂
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Il est excellent ! L’avis de Céline demain. Le mien un peu plus tard 😉
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Dans la mienne aussi !
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😉
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