Un livre, un extrait… L’Armée des Ombres de Joseph Kessel

Comment cela s’est fait, je n’en sais rien, disait Gerbier.

Je pense que personne ne le saura jamais.

Mais un paysan a coupé un fil téléphonique de campagne.

Une vieille femme a mis sa canne dans les jambes d’un soldat allemand.

Des tracts ont circulé.

Un abatteur de La Vilette a jeté dans la chambre froide un capitaine qui réquisitionnait la viande avec trop d’arrogance.

Un bourgeois donne une fausse adresse aux vainqueurs qui demandent leur chemin.

Des cheminots, des curés, des braconniers, des banquiers, aident les prisonniers évadés à passer par centaines.

Des fermiers abritent des soldats anglais.

Une prostituée refuse de coucher avec les conquérants.

Des officiers, des soldats français, des maçons, des peintres, cachent des armes. Tu ne connais rien de tout cela.

Tu étais ici.

Mais pour celui qui a senti cet éveil, ce premier frémissement, c’était la chose la plus émouvante au monde. C’était la sève de la liberté, qui commençait à sourdre à travers la terre française. Alors les Allemands et leurs serviteurs et le vieillard, ont voulu extirper la plante sauvage. Mais plus ils en arrachaient, et mieux elle poussait. Ils ont empli les prisons. Ils ont multiplié les camps. Ils se sont affolés. Ils ont enfermé le colonel, le voyageur de commerce, le pharmacien. Et ils ont eut encore plus d’ennemis. Ils ont fusillé. Or, c’était de sang que la plante avait surtout besoin pour croître et se répandre.

Le sang a coulé.

Le sang coule.

Il va couler à flot.

Et la plante deviendra forêt. 


Parution : 11 mai 2001 – Éditeur : Pocket – Pages : 253 – Genre : littérature française, suspense, thriller historique, seconde guerre mondiale, résistance, occupation

C’est à Londres, en 1943, que joseph Kessel, conteur inégalable et premier chroniqueur de notre temps, a écrit « L’armée des ombres », qui n’est pas seulement l’un de ses chefs-d’oeuvre mais le roman-symbole de la Résistance que l’auteur présente ainsi : « La France n’a plus de pain, de vin, de feu. Mais surtout elle n’a plus de lois. La désobéissance civique, la rébellion individuelle ou organisée sont devenues devoirs envers la patrie […]  Jamais la France n’a fait guerre plus haute et plus belle que celles des caves où s’impriment ses journaux libres, des terrains nocturnes et des criques secrètes où elle reçoit ses amis libres et d’où partent ses enfants libres, des cellules de torture où malgré les tenailles, les épingles rougies au feu et les os broyés, des Français meurent en hommes libres. Tout ce qu’on va lire ici a été vécu par des gens de France. »


Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club




Catégories :Un livre, un extrait...

15 réponses

  1. Du grand Kessel!

    J’aime

  2. Et allez, encore un livre que je voudrais lire et que je n’ai jamais lu ;/

    J’aime

  3. Un livre incontournable !
    De ceux qui vous grandisse l’âme …

    Aimé par 1 personne

Répondre à belette2911 Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.