Premières lignes … Théorie de la disparition de Séverine Chevalier

Aux femmes de. Aux filles et fils de. A Martine, ma mère.

Si je suis assise en catimini dans un sous-sol devant mon ordinateur portable, si j’ai ouvert un fichier intitulé, après avoir hésité, brouillon sans b majuscule, si j’ai regardé un interminable moment le rectangle blanc vertical, avec la barre clignotant comme une luciole, en haut à gauche, si j’ai passé plusieurs fois mon doigt sur la touche manquante, le E, si je vois, en levant la tête, un deuxième quadrilatère en longueur, soit une fenêtre à la vitre scellée qui découpe l’extérieur de la façon suivante : ciel, mer, champs, maison, étendage, si je sais, laissant mes yeux intérieurs dotés d’une certaine bien que récente connaissance des lieux se prolonger, pour le pavillon du dessous, le premier d’un lotissement inachevé dans lequel il semble n’y avoir personne sauf une jeune femme qui étend parfois son linge, si je sais pour les prés en pente puis les falaises puis les rochers tout en bas sur l’absence intermittente de plage, si je connais plus ou moins la modalité automnale, jaune et grise et normalement normande, de la côte, sauf, étrangeté radicale et quasi secrète puisqu’on ne peut la voir que du large, la centrale, si je sais pour les lignes à haute tension et les routes courbes ou droites sur lesquelles nous avons roulé pour venir du festival, dans le Sud, sans nous arrêter à l’est et au milieu ou nous vivons, Mallaury mon mari, et moi, Mylene, en face du cimetière, si j’appelle ce fichier brouillon dans l’idée nouvelle, surement absurde, de tenter d’écrire tout ce qui (me) vient, c’est peut-être pour tenter de répondre à cette question pour moi tout a fait confuse : quand et comment sait-on qu’il se passe quelque chose, s’il se passe quelque chose ; et s’il se passe quelque chose,

que se passe-t-il ?

Les environnements diffèrent, mais ça se termine toujours de la même façon. Je marche ou entre quelque part, dans une rue, un pré, un tunnel, un quai, une chambre, un bureau, une autoroute, un train, un cirque, je suis seule ou dans la foule. Dans ce cas, il s’agit de silhouettes, je n’identifie personne de connu, tout paraît excessivement normal, les ombres vaquent, consomment, mangent, attendent, ramassent, examinent, construisent, participent, réparent, sélectionnent, surveillent, conduisent, accueillent, budgétisent, promeuvent, conseillent, enlèvent, compilent, effectuent, lancent, montrent, répondent, apprécient, habilitent, s’insurgent, recueillent, exploitent, agrandissent, installent, grimpent, gèrent, acceptent, se rendent d’un point A à un point B. Je marche ou entre ou même sors, je trace dans la matérialité des choses et du monde sans aller nulle part, rien d’éthéré ni de brumeux, pas d’ambiance onirique, les profils humains quoique non détaillés pèsent leur poids de concret, je ne ressens pas d’inquiétudes particulières qui dicteraient un comportement ou une vigilance spéciale, je marche et entre ou même sors comme procède quiconque, enserrée comme les autres dans l’ordre habituel, automatique, je ne regarde pas à terre, je regarde plutôt devant comme on le fait sans y penser pour la pantomime implicite d’évitement des corps, je n’ai pas dans chacun des rêves la mémoire des précédents et quand bien même j’en aurais le souvenir ça ne modifierait pas le cours implacable de ses suites, car le trou n’est pas la d’abord, il n’a pas de coordonnées précises que je pourrais anticiper pour le contourner, il s’entame n’importe où et sous un de mes pieds projeté en l’air au moment pile ou je le repose, ou je crois encore comme à une évidence jamais démentie à la fois à la platitude du sol et à sa stabilité, a sa permanence, il s’ouvre sans que le processus puisse se décomposer, même a posteriori, instant zéro, plancher sûr et certain pour toutes les vaches, instant zéro plus zéro virgule zéro zéro, etc., un, trou dans lequel : je tombe.

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Parution : 9 janvier 2025 – Éditeur : La manufacture des livres – Pages : 176 – Genre : littérature française, roman noir,   portrait de femme  

Mylène se considère lucidement comme l’intendante de son mari Mallaury. Une vie simple et banale dans laquelle elle s’occupe de son foyer avec une grande minutie, prolongement du travail consciencieux exercé au service municipal de la ville de Saint-Étienne, quand elle vérifiait les habitations afin de prévenir tout risque de destruction. Mylène veille à ce que Mallaury ne manque de rien, surtout depuis que ses romans connaissent le succès. L’accompagnant dans tous ses déplacements, elle traque le moindre défaut, lisse le moindre pli. Mais un soir, lors d’un dîner entre écrivains, Mylène fait une rencontre qui l’amène à agir étrangement : elle se laisse disparaître. En échappant à son mari pour la première fois, elle se confronte au passé et sort de son silence. La femme de l’écrivain commence à écrire.


Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club



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17 réponses

  1. C’est intrigant mais je ne suis pas certaine que l’écriture me plaise durant tout un roman…

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  2. Merci pour ces quelques lignes que je trouve étranges, tout comme le résumé. Je me demande ce que tu vas nous dire de ce roman 😉.

    Merci Julie pour ce partage 😘

    Aimé par 1 personne

  3. C’est essoufflant! Tout le roman suit ce schéma?

    Aimé par 3 personnes

Rétroliens

  1. Bilan lectures Février 2025 – Ju lit Les Mots

Répondre à belette2911 Annuler la réponse.

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