Les avis de Céline C. : Chien-Loup de Serge Joncour


Une fois encore il fut traversé par cette terrassante angoisse, se disant que si un jour il perdait sa femme, ou bien si elle le perdait lui, bref, si l’un des deux disparaissait, il n’y aurait rien pour témoigner de la réalité de toutes ces années de vie commune, pas la moindre descendance, d’eux deux il ne resterait rien d’autre que l’absence, un silence exactement pareil à celui qui régnait tout autour de lui. Les enfants servent à cela, à combler le silence, le vide, les humains ne font pas des enfants pour peupler le monde mais pour se prouver qu’ils existent … S’il perdait Lise il perdrait tout, et là il ne la retrouvait pas..


Serge Joncour est un auteur dont j’ai beaucoup entendu parler. Dans le cercle de lecture de ma précédente médiathèque, de nombreux lecteurs ne tarissaient pas d’éloges concernant ses écrits. Finalement, après maintes tergiversations, je me décidais enfin à le lire, après une chronique de Caroline, du blog Le murmure des âmes livres, sur Chien-Loup. Son coup de cœur et, je dois bien l’avouer, le titre du roman m’avaient convaincue.

Que nous raconte ce Chien-Loup ?

Dans ce roman, deux temporalités se font écho. Une, de nos jours, avec Lise et Franck, un couple uni, l’une actrice, l’autre producteur, qui décident (enfin Lise décide) de passer leur été dans un coin reculé du Lot, à proximité du village d’Orcières, dans un gîte perdu au sommet d’une colline, cernée par une forêt. Un lieu coupé du monde, où même les ondes sont absentes. Une aubaine pour Lise, enchantée de se fondre dans cette nature, loin de la fureur des humains. Franck n’est pas dans les mêmes dispositions, et l’angoisse est le sentiment qui l’oppresse à l’idée de ces vacances bucoliques, alors que sa vie professionnelle l’accapare. Pourtant, malgré ses réticences, les lieux et sa rencontre incroyable avec un chien-loup surgit de nulle part, auront sur lui un effet inattendu. Une aide à une introspection salutaire.

L’autre partie de la narration se déroule au même endroit, au début de la première guerre mondiale. Le lecteur suit la vie du village, privé de ses hommes, mais où s’installe un dompteur de fauves. Un événement qui ne sera pas sans conséquence sur ceux qui restent en ces lieux abandonnés, loin de la guerre qui fait rage dans des contrées plus au nord.

« En revanche Couderc n’alla pas jusqu’à leur faire chanter les chants patriotiques demandés par le ministre de l’Instruction publique, il refusait que l’école serve à fabriquer de futurs soldats. Il se méfiait de ces nouvelles consignes émises par Paris qui sous-entendaient que cette guerre ne se terminerait jamais, et qu’après celle-là il faudrait déjà se préparer à d’autres, à croire que l’Europe n’en finirait pas de s’embraser ».

J’ai tout d’abord été troublée par ma lecture, déroutée par l’écriture. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans l’histoire, ou plutôt les histoires. Puis, pour une raison que j’ignore, la magie a opéré. J’ai été happée par les personnages, par cette narration double, par la façon dont l’auteur réussit à nous embarquer avec lui. Les deux époques s’entrecroisent, sont reliées par le fil de la plume, et nous interrogent, sur la violence de ce monde, passée et présente, sur la relation à la nature, sur les choix de vie. Je dois dire que l’écriture de l’auteur m’a intriguée ; mêlant un côté poétique et passionné, et une manière poétiquement étrange d’enchainer les idées, à l’aide de répétitions qui n’en sont pas vraiment. Je crois que c’est ce qui m’a le plus marquée dans ce roman, cette plume originale, la nature et la relation de Franck avec ce chien-loup, venu d’un autre temps, peut-être, incarnation de ce lien unique entre l’homme et l’animal.

Une très belle découverte que ce roman.


Parution : 22 août 2018 – Éditeur : Flammarion – Pages : 480 – Genre : littérature française, historique, première guerre mondiale

L’idée de passer tout l’été coupés du monde angoissait Franck mais enchantait Lise, alors Franck avait accepté, un peu à contrecœur et beaucoup par amour, de louer dans le Lot cette maison absente de toutes les cartes et privée de tout réseau. L’annonce parlait d’un gîte perdu au milieu des collines, de calme et de paix. Mais pas du passé sanglant de cet endroit que personne n’habitait plus et qui avait abrité un dompteur allemand et ses fauves pendant la Première Guerre mondiale. Et pas non plus de ce chien sans collier, chien ou loup, qui s’est imposé au couple dès le premier soir et qui semblait chercher un maître. En arrivant cet été-là, Franck croyait encore que la nature, qu’on avait apprivoisée aussi bien qu’un animal de compagnie, n’avait plus rien de sauvage ; il pensait que les guerres du passé, où les hommes s’entretuaient, avaient cédé la place à des guerres plus insidieuses, moins meurtrières. Ça, c’était en arrivant.

Serge Joncour raconte l’histoire, à un siècle de distance, d’un village du Lot, et c’est tout un passé peuplé de bêtes et anéanti par la guerre qu’il déterre, comme pour mieux éclairer notre monde contemporain. En mettant en scène un couple moderne aux prises avec la nature et confronté à la violence, il nous montre que la sauvagerie est toujours prête à surgir au cœur de nos existences civilisées, comme un chien-loup.


Ju lit les mots
– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club



Catégories :Contemporain, De l'Archipel, Les avis de Céline C., Littérature française

33 réponses

  1. j’aime bien cet auteur moi aussi si ce livre passe près de moi je le lirai.

    Aimé par 1 personne

  2. Trop contente que tu aies apprécié ta découverte, Céline ! Vraiment, j’adore la plume de Serge-Joncour, il y a ce petit quelque chose de très humain dans ses romans. Je me suis trouvée bien dans cette lecture, et elle doit être encore plus immersive en été, période à laquelle se passe une partie de l’histoire.

    Aimé par 1 personne

  3. Il est dans ma PAL depuis un certain temps. Je vais tâcher de retenir qu’il faut du temps pour entrer dedans (mais peut-être que ça ne m’arrivera pas, mais sait-on jamais ?). 😉

    Aimé par 1 personne

  4. Avatar de ducotedechezcyan

    ça m’intrigue de voir que tu as été déroutée avant de finalement apprécier ta lecture 🙂 J’avoue que tu m’as surtout donné envie de partir en vacances dans la nature, par contre ^^

    Aimé par 1 personne

    • C’est assez rare que je sois déroutée ainsi ; en général je suis plutôt du genre à ne pas m’attarder sur une lecture qui me gêne, mais là c’était tout à fait différent, je ne sais pas, je ne m’attendais pas à ça !

      Tu as raison ce roman donne envie de se perdre dans la forêt loin de tout 😊. Merci Cyan !

      Aimé par 1 personne

  5. Ce genre de romans qui décontenancent dans un premier temps avant d’embarquer et convaincre sont ceux que je garde le plus longtemps en tête, d’autant que la plume de l’auteur semble remarquable.

    Aimé par 1 personne

  6. Très beau retour de ta part Céline 👍 je crois bien avoir lu un roman de Serge Joncour et j’avais aimé. Je n’ai pas lu celui-ci par contre. Tu donnes envie. Il écrit très bien je trouve. C’est un auteur à la réputation non galvaudée. Passe un très bon weekend 🙂☀️

    Aimé par 1 personne

    • Merci beaucoup Frédéric ☺️. Sa plume est vraiment intéressante je trouve ; je ne m’attendais pas à ce style, mais j’ai envie de le lire à nouveau.

      Bonne semaine Frédéric 🤩

      Aimé par 1 personne

  7. Heureusement que tu as persisté dans ta lecture, normalement si c’est mal écrit je tiens le coup 3 pages et si c’est déroutant, bon je persiste une dizaine de pages. Donc écouter Céline et lire plus loin, mais pas trop quand même hein !

    Aimé par 1 personne

    • 😂 Pas trop quand même Hedwige ! Tu as raison ! Je suis comme toi, en général, si le début je n’accroche pas, c’est terminé. Il paraît que les éditeurs font ainsi, ils lisent une dizaine de pages max et après c’est à la poubelle le manuscrit 😱😉

      Là, j’ai persisté parce que l’histoire m’a intriguée et je voulais savoir où l’auteur m’emmenait

      J’aime

  8. Je me souviens avoir lu la chronique de Caroline sur ce livre. Je n’ai jamais lu l’auteur mais tu sembles avoir passé un beau moment, malgré ce début un peu déroutant. 🙂

    Aimé par 2 personnes

  9. C’est un auteur dont j’ai entendu parler de ci, de là, mais je n’ai jamais pris le temps de le lire… pas certaine que je sois tentée par celui-là… Ma PAL sourit de toutes ses dents ! 😉

    Aimé par 1 personne

  10. Merci beaucoup Frédéric ☺️. Sa plume est vraiment intéressante je trouve ; je ne m’attendais pas à ce style, mais j’ai envie de le lire à nouveau.
    Bonne semaine Frédéric 🤩

    J’aime

  11. Ça fait du bien, parfois, de trouver une particularité d’écriture marquante. On en a déjà beaucoup parlé, mais c’est évidemment difficile de se démarquer sur la scène littéraire… merci pour ces partages !

    Aimé par 1 personne

    • Tu as raison Nath, et c’est ce que je recherche de plus en plus, en tant que lectrice bien sûr, mais aussi pour parfaire ma propre écriture, hélas trop scientifique/didactique.

      Avec plaisir, et merci à toi 😘

      Aimé par 1 personne

Rétroliens

  1. C’est lundi, que lisons-nous ? #30 – Ju lit Les Mots
  2. Bilan lectures Mars 2025 – Ju lit Les Mots

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.