Chronique des murs invisibles : Strange houses de Uketsu


Le dimanche suivant, je sors de chez moi de bonne heure. Mon rendez-vous avec Yuzuki Miyaé est fixé à 15 heures. Mais avant, j’ai décidé de me rendre quelque part.
À la maison de Tokyo. Cette maison qui est à l’origine de tout.


Depuis quelques années, Uketsu s’impose comme une figure singulière de la fiction japonaise contemporaine. Derrière son masque blanc et sa voix modifiée, cet auteur anonyme, né sur YouTube avant d’entrer en librairie, explore une même obsession : ce qui se dissimule sous les choses. Après Strange Pictures, puzzle visuel fascinant, il revient avec Strange Houses, roman plus concentré.

J’avais particulièrement apprécié le premier opus Strange Pictures et si dans celui-ci l’auteur prenait des photos comme support de son intrigue, ici ce sont les murs et les pièces qu’il décortique pour en faire un puzzle architectural.

Strange Pictures imbriquait des récits entre eux, en mêlant textes, dessins, images, pour décrypter les indices, permettant de résoudre une énigme. Strange Houses, tourne autour de maisons dont les plans recèlent des espaces secrets, des zones cachées, des passages mystérieux. Même si l’auteur ne renouvelle pas sa trame, j’étais très curieuse mais surtout je me demandais comment il allait aborder cette nouvelle thématique.

Le mystère est centré sur des maisons, des plans, et d’éventuels espaces secrets et c’est certainement ce qui rend l’enquête plus linéaire là où Strange pictures était plus dense et demandait plus de réflexion du lecteur. Ici l’intrigue tourne autour d’un lieu, d’un espace, l’arc narratif plus précis, plus direct, dans la mesure où l’investigation tourne autour de ces plans.

Là où Strange Pictures m’avait surpris, c’était par la complexité de l’intrigue, par la façon dont des histoires différentes se reliaient, revenaient l’une dans l’autre, avec les visuels comme signes à interpréter. C’était presque un jeu de piste.

Strange Houses paraît être une évolution logique de ce qu’Uketsu fait déjà très bien, puisqu’on ressent sa fascination pour l’architecture du mystère, l’espace comme lieu de peur. On y retrouve l’idée que ce qui est “entre les murs”, ce qui est caché, peut-être plus effrayant que ce qui est explicitement monstrueux.

Ce recentrage n’enlève rien à la profondeur de sa démarche. Dans les deux cas, Uketsu construit des œuvres qui exigent la participation du lecteur. On lit, on observe, on interprète, comme un enquêteur pris dans un jeu. Son horreur n’est jamais frontale : elle s’insinue, elle se glisse entre les lignes ou entre les murs.

Pour autant, je n’ai pas retrouvé cette tension qui monte crescendo, ni de révélation forte jusqu’à la chute, ce qui a gâché mon plaisir. Peut-être étais-je trop dans l’attente…

En termes d’émotion, Strange Pictures joue plus sur la peur, le malaise, les images enfantines détournées, sur le traumatisme. Strange Houses, j’ai l’impression, mise davantage sur le mystère architectural, inquiétant, presque froid, mais avec le potentiel de réveiller des peurs domestiques très réelles.

Strange Houses confirme la singularité d’Uketsu dans le paysage du thriller horrifique, il a un style identifiable, fondé sur le visuel, sur l’architecture du mystère, et sur la mise en scène du normal comme porteur de dissonance.

Même si Strange Pictures reste plus ambitieux dans la multiplicité de ses fils narratifs et sa capacité à tisser plusieurs histoires autour d’indices visuels, Strange Houses peut séduire par sa structure plus resserrée, par le confort inquiétant qu’il installe, par le fait que le mystère se construit autour d’un lieu tangible, ce qui peut rendre l’angoisse plus accessible.

Strange Pictures et Strange Houses forment, à mes yeux, un diptyque sur la perception : d’abord voir autrement, puis habiter autrement.
Dans un monde saturé d’images et d’espaces normés, Uketsu nous rappelle que le mystère n’a pas disparu — il s’est simplement caché derrière nos murs.

Je remercie les Editions Stock et Babelio pour l’envoi de ce livre dans le cadre d’une Masse Critique privilège.

Parution : 12 septembre 2025 – Éditeur : Seuil – Traduction : Amana Renhall – Pages : 228 – Genre : littérature japonaise, thriller, thriller horrifique, polar, policier

Un auteur spécialisé dans l’occulte est appelé par un ami qui voudrait son avis au sujet d’une maison qu’il compte acquérir à Tokyo. Ils montrent les plans à un architecte qui décèle d’étranges espaces sans fenêtres entre les murs. À quoi servent-ils ? Est-ce une chambre d’enfant qui est cachée là ? Quel est ce passage secret qui relie la maison au garage ? Et qui était le précédent propriétaire de la maison, qui disparait du jour au lendemain ? Ce que nos apprentis enquêteurs vont découvrir est terrifiant.


Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 juillet 2025 au 11 juillet 2026) – Challenge Sous les pavés, les pages chez Ingannmic et Athalie (du 15septembre 2025 au 15 novembre 2025)


Ju lit Les Mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Membre the funky geek club – Contributrice journal 20 minutes –




Catégories :Challenge Polars et Thrillers, Littérature japonaise, Stock, Thrillers/Polars

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20 réponses

  1. J’adore ce style de livre. Ton retour est chouette Julie. Je le note 🙂 merci !

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  2. Ces livres ont l’air fascinants, je serais plus tentée par le premier que tu sembles avoir davantage apprécié et puis quand il s’agit de plans architecturaux, je suis très vite perdue, ne sachant bientôt plus si je vois un plafond ou un plancher.😂

    Tes articles sont tellement clairs et bien écrits, je suis en admiration.

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  3. Cest peut-être un peu dommage qui ait reprit la même structure. Surtout si ça joue sur ton plaisir de lecture vu que tu sembles pas avoir ressenti la même tension, alors que pourtant la thématique autour des pièces de la maison est extrêmement bien trouvée.

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  4. Je n’ai pas lu le premier malgré ta chouette chronique, hésitante ;-). Les thrillers horrifiques pourquoi pas, mais pas trop quand même 😂. Pas certaine que ce deuxième opus m’attire davantage.

    Merci pour cette belle chronique Julie

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  5. Il faudra que je teste strange pictures !

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  6. Il faut vraiment que je découvre « Strange Pictures », dont j’entends beaucoup parler. En revanche, je lis pas mal d’avis mitigés sur ce deuxième opus.

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  7. Bonjour Ju lit,

    Un grand merci pour cette participation très originale aux lectures urbaines ! Je ne connais pas du tout cet auteur, mais ce que tu en dis est vraiment intrigant, et donne envie d’en savoir plus…

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