Du haut de son mètre soixante-dix, Rahal est en train de consoler trois détenus qui ont fondu en larmes : « Les hommes n’ont pas peur. » J’ai été fils, frère, écolier, chômeur, bourlingueur, soldat, employé, amant, optimiste, pessimiste, et moi aussi je suis hanté par la peur de ce qui va m’arriver. Je ne suis pas un homme, je ne le redeviendrai pas tant que je serai en prison. Je suis une merde écrasée.
Ma vie n’a été qu’un dessin sur le sable brouillé par le vent.

Il y a dans La fin du Sahara quelque chose d’à la fois brûlant et suspendu, comme un vent de sable qui s’infiltre partout.
On croit d’abord ouvrir un polar avec le meurtre d’une chanteuse de cabaret, Zakia, retrouvée morte dans une petite ville aux portes du désert algérien. Un meurtre, un suspect, un enquêteur, tous les ingrédients du roman noir sont là. Mais très vite, on comprend que cette intrigue n’est qu’un point de départ. Le crime devient le reflet d’un pays au bord de l’effondrement, d’une société rongée par la lassitude et le silence.
Nous sommes en 1988, à la veille des émeutes qui embraseront l’Algérie. Le pays suffoque. Les pénuries s’accumulent, la colère monte, la peur s’installe. Dans ce climat de tension et de poussière, l’auteur déploie son récit. L’hôtel Le Sahara devient le théâtre d’un huis clos, où chaque personnage révèle une part de la faillite collective. Le désert n’est plus un simple décor, il devient une métaphore de la sécheresse morale, de la fin d’un monde et d’un idéal.
Ce qui frappe, c’est la richesse de la construction : une narration polyphonique où les voix se croisent, se contredisent, se répondent. L’inspecteur désabusé, le suspect meurtri, l’avocate qui doute, chacun porte un fragment de cette Algérie meurtrie. Cette multitude de personnage, donne au roman une densité remarquable, mais aussi, parfois, une certaine lenteur doublée de longueurs. Le récit s’attarde, s’étire, se perd un peu dans ses digressions historiques et ses portraits secondaires. J’aurais aimé que le souffle du polar reprenne le dessus, que l’enquête avance plus franchement. Mais finalement, l’enquête n’est qu’un prétexte pur aborder les sujets qui rongent la société algérienne, en ces temps de crise.

Ces longueurs font aussi partie de l’expérience de lecture : elles traduisent le temps suspendu du désert, l’épuisement d’une société qui tourne en rond. La plume de l’auteur épouse ce rythme aride, tantôt sec, tantôt poétique, toujours tendu entre réalisme et symbolisme. Et même si j’ai apprécié globalement ma lecture, je pense que le texte aurait gagné en densité s’il avait été un peu élagué.
La mort de Zakia n’est qu’un prétexte à une réflexion plus vaste sur la perte, la mémoire collective, mais aussi la désillusion, la perte de confiance en un régime politique. On y retrouve les accusations gratuites, les enquêtes un peu bâclées mais finalement, le peuple compose avec…
Ce n’est pas un roman qu’on lit d’une traite, mais un texte qui se lit lentement, pour tenter de retrouver son chemin.
Je suis ressortie un peu étourdie, un peu pensive, mais avec la sensation d’avoir, moi aussi passé quelques jours dans cette ville, envahie par la désillusion, la chaleur et les sauterelles. Pour l’anecdote, je me souviens très bien de cette invasion de sauterelles que l’auteur décrit dans son livre. En septembre 1987, et pour la première fois depuis trente ans, des vagues de sauterelles déferlaient sur le Maghreb, notamment dans le sud de la Tunisie. Un an plus tard, les criquets avaient envahi les franges nord et sud du Sahara. La même année, 1987, Ben Ali prend le pouvoir après un coup d’Etat.
Saïd Khatibi signe un livre sombre, traversé par la nostalgie. Si le récit connaît quelques longueurs, c’est sans doute parce qu’il tente de saisir l’insaisissable : la fin d’un monde, et ce qui reste après.
A écouter avec A Vava Inouva de Idir (chanteur algérien et Karen Matheson.
Parution : 13 mars 2025 – Éditeur : Gallimard – Pages : 400 – Genre : littérature algérienne, polar, thriller, roman social
Algérie, septembre 1988. Dans une petite ville aux portes du désert en proie à une prolifération de criquets et à une pénurie de vivres, au bord du soulèvement, on retrouve le corps de Zakia Zaghouani, la chanteuse de l’hôtel Le Sahara. Immédiatement les soupçons se portent sur son amoureux, qui est jeté en prison. Un inspecteur de police enquête. L’avocate du principal suspect également. Famille, amis et proches témoignent et se retrouvent confrontés à leur passé. Secrets, trahisons, rancunes, mais aussi rêves et espoirs éclairent leurs liens avec la victime : chacun nourrit, pour une raison ou une autre, le désir de se venger d’elle. Alors, qui a réellement tué Zakia ? Et si, derrière le meurtre de cette femme, se cachait un secret si insoutenable qu’il pourrait déchirer toute une communauté ?


Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 juillet 2025 au 11 juillet 2026) – Le mois Africain 2025 chez Sur la route de Jostein
Ju lit les mots
– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club
Catégories :Gallimard, Le mois Africain, Littérature algérienne, Thrillers/Polars

C’est exactement le type de roman noir comme j’aime : l’enquête servant de prétexte pour (tenter de) décrypter une société à un moment charnière. Bon, 400 pages quand même, ça peut en effet être longuet par moments…
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Oui c’est ce qui pêche un peu… Les points de vue des personnages sont intéressants mais cela entraîne nécessairement des redites… mais le fond du sujet reste intéressant 🙂
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Une lecture qui semble particulièrement immersive, et tu retranscris à merveille l’atmosphère et la nostalgie qui se dégage du texte.
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Merci Caroline 🥰 Oui c’est immersif et très intéressant 🙂
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Il y a toujours de beaux textes dans la série noire Gallimard ! Merci pour la découverte Julie 🥰
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Avec plaisir ma Céline, oui j’aime cette exigence 🙂
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Les romans africains ( en tout cas ceux que j’ai pu lire) sont toujours un peu politiques, ou au moins ils reflètent la société africaine. Et c’est sûrement pour cela que j’aime les lire.
Si le genre roman noir me fait fuir ( mais tu dis que c’est juste une entrée en matière), le côté huis-clos m’attire. Ce sont en général de bons moyens d’entrer finement dans la psychologie des personnages.
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Tout à fait et c’est ce qui fait sa richesse 🥰
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Je viens justement de lire « la guerre est une ruse », qui parle de l’Algérie des années 90, après la révolution. Je note celui-ci, pour en apprendre un peu plus. 😉
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Il est dans ma PAL du coup ce sera la suite logique chronologiquement 😉
Après ce sera certainement différent 😉
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Ben voilà, on va se rejoindre sur nos lectures, ce qui n’est pas souvent le cas 😉
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😉
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merci pour la musique ! je lirai ce livre si je le trouve en médiathèque
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Avec plaisir ! Contente qu’elle te plaise 🙂
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Un nouveau volet de cet automne arabe que tu nous offres. Tu en parles encore avec force et presque magie cette fois, dépassant le cadre du polar et donnant vie à un récit plus proche de l’histoire méconnue (par moi) de ce pays. Je note à nouveau !
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🙏❤️
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Merci Julie 🙏🏻
C’est un livre qui me plaira certainement.
Bonne soirée 🎃🤗
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Je t’en souhaite par avance une excellente lecture 🙂
Excellente journée 🙂
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Une très belle découverte il faut que j’en fasse la chronique !
Rhaaa putain de retard !! 😣
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Oui très intéressant comme livre 🙂
le temps…. :-p
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