
D’instinct elle recule, le Sig Sauer caché dans le dos. Elle est toute menue et ravissante, et maquillée à faire peur. Des yeux avec des peintures de guerre et des couleurs de tranchée et de boue dévorée, mais un visage en cœur, des arêtes fines.
Elle porte un jeans slim et marche pieds nus. Nouveaux coups à la porte. Elle dit à une autre fille, qui se tient en retrait, «Vas-y toi, tu fais plus vieille.» De cette fille, à peine moins jeune, on ne distingue pas grand-chose, tant tout d’elle est occulté par trop de cheveux, d’une blondeur anormale. Elle porte une robe de satin bleu décoloré un peu grande mais, à la voir, habituée ni aux robes ni aux talons.
Elle ouvre la porte de quelques centimètres, genre situation très intime : «Vous laissez tout devant la porte, merci.» Elle referme. Elle attend, ouvre de nouveau, prudente : le loufiat est parti, la voie est libre. Le petit chariot qu’elle tire à l’intérieur est couvert de verres et de jolis plats sous cloches métalliques. Champagne et room service. Elle dispose tout sur la table de la suite, et en dernier, le chandelier design pourvu de flammèches électriques. Dînette pour lovers. Waw. C’est beau.
La ravissante prend une bouteille sur la table, « Oh putain comment ça s’ouvre ça, j’arrive pas», fait péter le bouchon avec un bruit de balle perdue. Elle renverse du champagne sur la moquette et remplit de mousse deux flûtes, «Dom Pé. On l’a mérité, là.»
Les filles s’assoient, face à face, à la lueur des bougies artificielles, l’arme posée entre elles. La blonde soulève un premier couvercle : «Le homard. Y a deux moitiés. Tiens, la tienne.»
Elle prend une moitié d’animal à main nue et la pose sur l’assiette de la ravissante. Qui regarde de près. Brandit la chose en la tenant par la pince, «C’est quoi ce truc. Putain y les pèlent pas, à ce prix-là. Tu sais comment on fait, toi? Avec ce crochet, là? Ce casse-boules?» Elles se marrent, heureuses comme deux gamines très pauvres dans une suite d’hôtel très luxe.
Gênée par ses faux ongles, la ravissante tripote mollement le homard et les pinces, et dit à l’autre, avec un mélange de fierté et d’affection : «Bien joué, c’est top pour une première. T’as été un vrai bonhomme.» Elle sourit, cogne son poing droit contre celui de la blonde, «On va s’en tirer mon frère.
— Tellement.
— Après, c’est pas pour te clasher, mais y a deux trois choses quand même. Des détails.» Elle laisse un suspense, continue, «Ta robe sortie d’où, sérieux je me demande, spéciale cacedédi à l’abbé Pierre ou bien? On y croit pas une seconde, et elle pue l’antimite. Quand le boloss t’a vue avec moi, au lieu d’être joisse, il s’est méfié, je peux te dire qu’il était à deux doigts de se barrer.
— J’ai fait comme t’as dit, une robe swag mais pas trop reuche.
— Comment j’ai ramé à contre-courant pour pas qu’il se barre. Parce que ta robe, d’accord, elle fait pas pute, pas du tout même. Mais elle fait pas non plus étudiante fauchée. Juste fauchée, carrément meskine. Prends-le pas perso, mais elle craint, ta dégaine. Là t’es comme une perruque dans la soupe, une perruque accrochée à un gros flingue.
— Oooh ça va, hein. Ça aussi c’est toi, tu m’as dit, fais quelque chose avec tes cheveux. Putain.» Elle lisse et remet en place ce qui de près se révèle une perruque.
«Moi je dis ça, c’est pour toi. Des fois moi non plus j’assure pas, t’as vu comment il a scanné mes mains, c’est foireux tu vois, les ongles de pétasse sur mes mains destroy, faut faire gaffe aux détails, toujours.» La ravissante montre le dos de sa main droite, doigts écartés : les ongles en gel ne cachent pas les peaux rongées à cru, et des traces de dents jusqu’au sang. L’ongle de l’index est cassé. «C’est nul», elle dit.
Parution : 7 janvier 2021 – Éditeur : Gallimard – Pages : 208 – Genre : violence, thriller sociétal, roman noir, drame, thriller psychologique
Quinze ans bientôt seize, Bambi est décidée à sortir de la misère. A la tête d’un gang d’adolescentes zonardes, terrorisantes et terrorisées, elle a trouvé un filon : les sites de sugardating qui mettent en contact des jeunes filles pauvres avec des messieurs plus âgés désireux d’entretenir une protégée. Bambi y pose en proie parfaite. Mais Bambi n’aime pas flirter ni séduire et encore moins céder. Ce qu’on ne lui donne pas gratis, Bambi le prend de force. Imitant les comportements et le langage masculins Bambi et sa clique se défendent violemment de la violences auxquelles elles sont exposées en permanence : violence de classe, violence du marché et règne du pognon, du bling, de la transaction…mais aussi – et peut etre surtout – violence au sein de ce noyau qui devrait être protecteur : la famille. Bambi est une victime devenue bourreau redevenue victime d’elle- même. Et, dans un monde où on refuse pourtant aux femmes jusqu’à l’idée de la violence, Bambi rend les coups, y compris ceux qu’on ne lui a pas donnés.
Catégories :Premières Lignes...
C’est drôle car au titre, j’ai cru que c’était un pamphlet pour arrêter de manger de la viande. C’est dans l’air du temps. Mais aucun rapport avec ton résumé. Je crois que c’est un poil trop troublant pour moi.
Merci du partage.
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Je pensais comme toi et j’ai été assez déstabilisée… C’est un roman noir, social….
Il faut aimer le genre 😉
Merci d’être passé 😉
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J’ai un peu de mal avec le style mais effectivement on sent que le propos est grave, que c’est à creuser.
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Oui le style est vraiment ce qui dérange au début, mais finalement on s’y fait au bout de quelques pages.
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