Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclès

En s’inspirant de la célèbre photo de Robert Cappa “La tondue de Chartres” prise en août 1944 à Chartres Julie Héraclès signe une fiction historique, avec la Seconde Guerre mondiale en toile de fond et prête vie à cette femme tondue portant son bébé.

Simone, fascinée par la langue et la puissance de l’Allemagne, est prête à tout pour sortir de sa condition sociale, quitte à y brûler ses ailes.

Je suis très partagée quant à cette lecture.

J’ai apprécié la plume sans fioriture de l’auteure, la gouaille de Simone qui malgré son instruction, manque cruellement d’éducation, d’empathie pour les autres. On peut d’ailleurs se dire que le manque d’amour de ses parents la pousse à l’extrême. Toutefois, ce serait minimiser le fait qu’elle n’ait eu aucune compassion même pour sa meilleure amie, juive qui doit fuir. Elle vit son départ, comme un abandon… Comme si tout ne devait tourner qu’autour d’elle, de ses désirs et ses choix.

J’ai parfois eu de la compassion pour cette jeune fille, et même si j’ai parfois été tentée de me focaliser sur son histoire d’amour et ses sentiments, je n’ai pu, ni voulu, oblitérer ce qui se passe en périphérie de sa vie. Simone, écrase, broie, ignore et regarde de haut, ceux qui ne pensent pas comme elle, ceux qui l’empêcheraient d’obtenir ce qu’elle veut. Elle rêve sa vie, comme si le moule dans lequel elle est n’était pas le sien. Elle se jure d’être libre, d’être aimée, tout cela sans un regard pour les dommages collatéraux.

Mais il m’est impossible de comprendre que l’on puisse, par soif d’élévation sociale, ne pas voir ce qui se passe autour de soi. J’ai voulu la croire naïve, mais quelques phrases me font dire qu’elle ne l’était pas tant que ça.

J’ai à la fois détesté Simone et à la fois eu beaucoup de compassion pour elle, pour sa vie, son amour. Mais je ne peux cautionner sa collaboration. Sa jeunesse n’excuse pas tout.

Simone Grivise, personnage fictif de Simone Touseau, 23 ans, connue pour ses affinités affichées avec les soldats nazis pendant l’Occupation, et pour avoir entretenu une liaison avec Erich Göz, dont elle a eu un enfant. En 1943, Simone Touseau adhère au Parti populaire français (PPF), parti collaborationniste fondé par Jacques Doriot. Ce qui lui vaudra une peine de dix ans d’indignité nationale, prononcée par la chambre civique ainsi que deux ans et dix mois de prison.

On découvre, donc, la vie romancée d’une jeune femme reconnue coupable de collaboration pendant la guerre. J’ai parfois eu le sentiment que l’auteure lui trouvait des excuses, mais peut-on en trouver ? L’âge, est-il une excuse ? Je ne crois pas. Du moins, j’ose espérer que non. Je suis déjà révoltée par toutes ces femmes et ces hommes qui ont retourné leur veste pendant cette sombre période, alors je ne peux pas excuser ce manque d’empathie, ni de compréhension.

Je peux comprendre que l’on puisse tomber amoureux d’une personne de l’autre camp, mais il ne faut pas minimiser les choses. Surtout qu’ici, Julie Héraclès, prête plus d’empathie à l’homme aimé qu’à Simone elle-même.

Les tondues ont servi d’exutoire et ce n’est effectivement pas glorieux, sachant que certains, étaient du côté de l’occupant…

Julie Héraclès assume l’histoire romancée : « Ce que j’ai fait, ce ne sont pas des recherches d’historien, ce sont plutôt des recherches pour m’imprégner d’une époque, de la manière dont on vivait, dont on parlait. J’ai lu des ouvrages d’historiens, mais très peu. » « J’ai ajouté des épisodes aux événements qu’on connaît déjà, c’est pour ça que c’est un roman. J’ai pris beaucoup de libertés avec la vérité historique. »

L’histoire de la vraie Simone a été largement décortiquée dans La Tondue de Gérard Leray et Pierre Frétigné et ce n’est certainement pas la victime qu’en fait l’auteure.

Même si je n’oublie pas que ce sont deux histoires différentes, je ne peux me détacher de la grande Histoire.

« Les salauds, les saints, j’en ai jamais vu. Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil… » – Philippe Claudel : Les Âmes grises

Je reconnais pourtant de belles qualités dans le récit, des réflexions intéressantes sur le bien et le mal, une plume très visuelle et rythmée, même si parfois, j’ai trouvé que la narratrice avait plus de la jeune fille actuelle que de celle des années 40.

Je suis par ailleurs, assez surprise car ce livre ressemble étrangement à « Des jours et des nuits à Chartres » de Henning Mankell….


Parution : 23/08/2023 – Éditeur : JC Lattès – Pages : 384 – Genre : collaboration, seconde guerre mondiale, historique

« Aujourd’hui, vous m’avez rasé le crâne, vous m’avez marquée au fer rouge et maintenant vous m’insultez comme une chienne. Mais vous ne me détruirez pas. Vous n’aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car, aujourd’hui, encore plus qu’hier, je suis forte d’un trésor inestimable. Un trésor que beaucoup d’entre vous passerez toute une vie à chercher et n’obtiendrez jamais. J’ai aimé. Et j’ai été aimée. »

Le 16 août 1944, à Chartres, le photographe Robert Capa a immortalisé une femme, tondue, le visage incliné vers son nourrisson, conspuée par la foule. Dans un roman bouleversant qui s’inspire de ce cliché, Julie Héraclès retrace la vie de cette femme libre, Simone, au tempérament incandescent.


Ju lit Les Mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Membre the funky geek club – Contributrice journal 20 minutes –




Catégories :Historique, J.C. Lattès

Tags:, , ,

29 réponses

  1. Ah merci pour ce retour ! J’y adhère complètement 🙂

    Aimé par 1 personne

  2. Le roman semble susciter des émotions fortes chez les lecteurs et une forte indignation. Comme toi, je ne pense pas que l’âge peut tout expliquer…

    J’aime

  3. Merci pour cette critique exemplaire, morale et radicale, généreuse aussi. 

    Est apprécié, l’espace découverte, libre d’évaluation, laissé aux futurs lecteurices. 

    bleue roy

    J’aime

  4. Je ne pense pas me laisser tenter par ce livre mais comme toi, je pense que la jeunesse n’excuse pas tout. On parle d’une jeune adulte, capable de comprendre les conséquences de ces actes et non d’une enfant qui ne saisit pas toujours les jeux. Comme tu le dis, il ne faut pas minimiser les actes, peu importe les raisons pour lesquels ils ont été commis. Cette triste période de notre histoire a déjà connu bien trop de souffrance pour en minimiser les faits. Merci pour ta chronique en tout cas Julie, j’ai pris plaisir à la lire. 🙂

    J’aime

  5. Merci Julie pour cet avis sur ce roman, dont je n’ai pas entendu parler. Si je comprends bien il a reçu un accueil très favorable à sa sortie.

    C’est vrai qu’il est difficile d’ignorer l’Histoire surtout dans une fiction où elle a une grande importance.

    J’aime

  6. Il est beau ton retour. J’apprécie la profondeur et l’objectivité de ton analyse.

    Aimé par 1 personne

  7. J’ai entendu dire, que dans la réalité, cette femme était antisémite, raciste et qu’elle avait le bras bien raide et levé… Bref, de la sympathie pour les nazis. Je pense que je vais préférer le livre historique à celui qui est romancé…

    J’aime

  8. C’est un roman que j’ai vu passer quelques fois mais qui ne m’attire guère.

    Aimé par 1 personne

Rétroliens

  1. C’est lundi, que lisons-nous ? #23 – Ju lit les mots

Répondre à Ludivine Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.