Elle n’avait rien trouvé de plus à répondre. « C’était son devoir ! » On ne peut empêcher un homme d’accomplir son devoir sinon il se le reprochera tout le restant de sa vie. Elle ne voulait pas être un obstacle à ses ambitions même si elle ne les partageait pas. Elle ne voulait surtout pas qu’il lui en veuille un jour.
Boussoura savait ce qui la perturbait et la tracassait au point de ne plus pouvoir dormir. Elle savait pourquoi elle craignait tellement que Seini devienne le lamido tout puissant. Elle s’en ouvrit à lui quelques jours plus tard, alors que ce dernier, se retournant une fois de plus dans le lit, incapable de trouver le sommeil, avait allumé sa lampe de chevet :
— Chérie, dis-moi ce qui te tracasse autant.
— Si tu deviens lamido, on te donnera plusieurs 31 femmes. J’ai toujours été contre la polygamie, tu le sais.
Elle avait éclaté en sanglot, incapable de parler davantage. Il avait soupiré et, agacé, il avait répondu :
— Je ne l’aime pas non plus et je n’ai jamais eu l’intention de l’expérimenter. Est-ce que, durant nos vingt-cinq ans de mariage, je t’ai donné une seule fois une raison de ne pas me faire confiance ?
— Non, bien sûr.
— Je comprends tes appréhensions, crois-moi, mais ces femmes du palais auxquelles tu fais allusion ne seront pas mes épouses. Ce sont juste des esclaves. Des concubines royales. Des soulaabé. Rien ne va changer pour toi. Tu resteras ma seule épouse.

Puis il avait éteint la lumière et s’était paisiblement endormi, l’abandonnant à son angoisse.
Quelle désinvolture ! Les femmes du palais ! Juste des esclaves, des concubines et non des épouses. Quelle différence pour une femme amoureuse de savoir son mari entre les bras d’une coépouse, d’une maîtresse ou d’une concubine. Ça reste les bras d’une autre.
Elle l’avait accompagné dans sa ville natale et s’était installée dans leur maison pendant qu’il passait son temps avec les notables de la chefferie. La veille du couronnement, elle avait passé la nuit seule dans sa chambre, en pleurs. Elle était incapable de se concentrer pour prier. Prier pour quoi ? Demander à Dieu que Seini soit élu ou le contraire ? Son bonheur d’épouse valait-il mieux que l’ambition de régner de son mari ? Sa tranquillité à elle surpassait-elle celle de la localité ?
Seini lui avait énuméré ses projets et ses convictions. Tout ce contre quoi il allait se battre une fois élu : les abus sur les personnes d’origine servile, la criminalité et les enlèvements qui augmentaient dans la région, Boko haram et d’autres groupuscules terroristes, le choléra, la tuberculose et le VIH qui faisaient des ravages. Il voulait surtout se battre contre l’ignorance, l’illettrisme, l’intolérance, l’obscurantisme qui étaient les principales causes des fléaux qui minaient la région. Il souhaitait enfin redorer le blason de la chefferie et lui redonner sa splendeur d’antan.
Boussoura pouvait-elle pour son seul bonheur priver la localité de celui qui serait sans aucun doute le meilleur des dirigeants ? Quel est le but ultime de la vie ? Se battre pour son bonheur personnel ou avoir le sens de l’abnégation et du don de soi jusqu’au sacrifice ? Au petit matin, les yeux rougis et enflés, elle avait attendu au salon dans la maison qu’ils avaient construite non loin du quartier des princes, au milieu de dizaines de femmes dont ses propres filles, que les notables élisent le prochain monarque et décident ainsi du chemin que prendrait sa vie.
Parution : 19 août 2024 – Éditeur : Collas – Pages : 288 – Genre : contemporain, littérature camerounaise, littérature francophone, polygamie, traditions, littérature africaine
Boussoura et Seini forment un couple moderne qui vit à Yaoundé. Il est médecin, elle est professeure de littérature. Une famille épanouie jusqu’au jour où tout bascule quand Seini est rattrapé par son passé. Fils de roi, il est appelé à prendre la succession. Malgré les réserves de son épouse, l’attrait du pouvoir est le plus fort. Devenu lamido, commandeur des croyants et garant des traditions et de la religion, il se transforme en roi tout-puissant.
Ju lit les mots
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J’ai repéré ce roman pour la rentrée littéraire et je l’ai mis dans ma PAL. Là, je lis le nouveau roman de Carole Martinez. Merci Julie pour cet extrait 🙂
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Le roman de Carole Martinez me tente bien 😉 Mon avis sur Le harem sort demain 😉
Merci à toi Frédéric 🙂
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