Chronique d’un retour aux sources : Le Bastion des larmes de Abdellah Taïa


Bien mieux que leur Sigmund Freud. De toute façon, leur Freud, il ne peut pas nous comprendre, nous. Il ne sait rien sur nous. Il ne sait rien sur nos djinns et sur nos rituels. Sur nos folies d’ici. Sur l’histoire d’ici, celle qui vient de la terre, de la poussière et du   vent. L’histoire de nos peurs et de nos saletés.


Abdellah Taïa signe un roman hybride, à la fois récit intime et méditation engagée et militante. Loin de l’exil confortable, son narrateur, Youssef, revient dans sa ville natale de Salé après vingt-cinq ans de vie en France, confrontant son passé intime à une société toujours marquée par l’homophobie et le poids des traditions et d’interdits.

Youssef, enseignant et écrivain, revient au Maroc pour la succession de sa mère. La ville familière, ses ruelles et ses remparts — le « bastion » — l’accueillent avec leur lot de souvenirs et de blessures. En renouant avec ses six sœurs et son premier amour, Najib, désormais impliqué dans la corruption ambiante, il doit affronter les stigmates de son homosexualité et la violence silencieuse.

Avec une plume poétique, l’auteur manie le français avec une intensité rare, mêlant lyrisme et colère pour décrire l’intime et le collectif. Les six sœurs de Youssef incarnent la résistance et la tendresse, offrant un contrepoint chaleureux aux tensions sociales.

Le roman dénonce sans concession l’homophobie, la corruption et les violences de genre, tout en conservant un profond amour pour son pays.
Je me suis parfois perdue dans cette alternance entre le présent et les souvenirs, les multiples voix et les digressions politiques sont très intéressantes, mais gênent parfois la fluidité du récit.

Youssef, en narrateur double de l’auteur, garde une certaine distance affective, ne permettant pas au lecteur de pleinement avoir de l’empathie pour le personnage.
Pour autant, j’ai été touchée par la force de ces confessions mêlées à un plaidoyer social. La voix d’Abdellah Taïa, à la fois vulnérable et combative, fait de Le Bastion des larmes un portrait à vif d’un Maroc en mutation. Les passages où les personnages féminins se font écho sont particulièrement marquants, insufflant chaleur et résistance à l’ensemble.

Abdellah Taïa conjugue mémoire personnelle et engagement. Un ouvrage exigeant et sincère, qui bouscule et émeut, invitant chacun à revisiter ses propres convictions.

Je remercie les éditions Julliard et Netgalley pour l’envoi de ce titre.

Parution : 22 août 2024 – Editeur : Julliard – Pages : 224 – Genre : littérature marocaine, homosexualité, roman social, homophobie, littérature francophone

À la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses sœurs, pour liquider l’héritage familial. En lui, c’est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre.
À travers lui, les voix du passé résonnent et l’interpellent, dont celle de Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique, happé par le trafic de drogue et la corruption d’un colonel de l’armée du roi Hassan II. À mesure que Youssef s’enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l’ombre desquels Youssef a jadis fait une promesse à Najib.  » Notre passé… notre grande fiction « , médite Youssef, tandis qu’il s’apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d’une enfance terrible, d’un amour absolu, aussi, pour ses sœurs magnifiques et sa mère disparue.
Prix Décembre 2024
Prix de la langue française 2024

Pride Month Challenge 2025 chez Collectif Polar


Ju lit Les Mots
Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Membre the funky geek club – Contributrice journal 20 minutes



Catégories :Contemporain, littérature anglaise, Presses de la cité, Pride Month Challenge

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32 réponses

  1. Ce thème ne m intéresse pas trop mais tu parles magnifiquement de ce livre comme toujours. Bon dimanche. Je ne peux plus me connecter à ton blog donc je mets en anonyme. Pat

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  2. Whaou, j’ai trop de la chance ici , sur Ju lit les mots.

    Aprés Céline, c’est toi ma Julie qui participes au Month Pride Challenge. Et de belle manière en plus.

    Merci pour la découverte que tu me fais faire là mais aussi pour tous tes beaux visuels du MPC 😍

    Beau dimanche à toi ma Julie 😘

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  3. Merci Julie pour ce beau partage ❤️

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  4. Avatar de ducotedechezcyan

    Les sujets abordés m’intéressent, mais le manque de fluidité et les digressions que tu soulignes me font penser que ce livre ne me conviendra pas, du moins pour l’instant. Je garde le titre dans un coin de ma tête pour un moment où je serais plus patiente. Merci de me le faire découvrir 😉

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  5. Un roman qui a l’air de nécessiter de la concentration au niveau de l’alternance entre présent et souvenirs mais cet engagement semble largement récompensé par la manière dont sont abordés les thèmes.

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  6. C’est un sujet très intéressant je trouve. Merci pour ce beau retour Julie 🙂☀️

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  7. j’ai beaucoup aimé ce livre moi aussi.

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  8. Tres belle critique pour un livre que je vais certainement acheter. J’aime découvrir les auteurs étrangers. Je pense au grand auteur Turque Orhan Pamuk.

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    • Ce que j’apprécie lorsque je lis des auteurs étrangers, c’est qu’on découvre nécessairement un pan social, historique et je les trouve riche en apprentissage et en qualité 🙂
      Merci beaucoup de ta confiance, c’est vraiment un livre à découvrir 😉
      Je n’ai encore pas lu Orhan Pamuk, mais je ne désespère pas 😉

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  9. C’est un roman que j’avais repéré à sortie, pour son sujet, pour le Maroc, et puis ces souvenirs qui accaparent le narrateur. Tout ce que j’aime.

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