Prologue
Toutes les familles ont un secret.

Il peut s’accrocher à une vie entière, emmurer les personnes qui le protègent, les forcer à marcher sur de la moquette épaisse, pour étouffer le bruit de leurs pas. Il est un silence qui étreint le cœur, qui ne nous libère jamais de son emprise. Il prend discrètement de la place, jusqu’à écarter les parois d’une coquille invisible, pour permettre de s’y faufiler. Parfois, il finit même par se fissurer.
Toutes les familles ont un souterrain.
Je ne saurais dire si j’ai eu raison de forcer cette porte fermée à double tour, une porte qu’on finit par approcher à force d’allusions voilées. Qu’on le veuille ou non, le mutisme familial se transmet. Il ne suffit pas d’en amortir le bruit, de masquer les visages. Le chemin vers ce souterrain ne cesse de resurgir.
Toutes les familles ont un fantôme.
Le mien avait sa manière d’exister : à la lisière de notre cellule familiale, à la frontière entre le tangible et l’indicible. Il s’incrustait parfois dans un recoin de la mémoire familiale, une ombre que personne n’évoquait à voix haute. Une silhouette en retrait sur une vieille photo, un prénom échappé d’un murmure, un souvenir qui passait dans les regards sans jamais franchir les lèvres. J’ai grandi avec sa légende. Parfois, il suffisait d’un détail, d’une sensation, pour que le fantôme réapparaisse, des décennies plus tard, dans la vie de ceux qui pensaient pouvoir l’oublier.
J’ai longtemps pensé que le silence ne servait à rien d’autre qu’à se taire. Pour certains, il pouvait aussi être entendu comme une note suspendue. Tant de ces notes avaient ponctué ma vie ! Tous ces moments où l’air était chargé d’une matière plus dense que le vide, j’ai appris à les écouter. Et alors le mutisme de ma mère, celui de ma tante, ou celui de mon fantôme devenaient un espace où à la fois tout pouvait advenir et rien ne se produisait.
J’ai vite compris que le silence et l’absence étaient deux ombres distinctes qui se chevauchaient néanmoins. Comme la mort et la vie, il leur arrivait de danser ensemble dans l’espace vacant laissé par un départ.
Il existe des absences plus assourdissantes que mille cris, des silences plus lourds que des adieux. J’ai appris à les distinguer. Ensemble, ils conspiraient à effacer les traces, à distendre les souvenirs – et l’oubli n’est-il pas une mort plus insidieuse encore ?
Je n’ai jamais pleuré mon oncle. Je ne l’ai jamais connu. Mais j’ai refusé qu’il soit effacé du livre de notre famille. Au silence, j’ai préféré le bruit. Le bruit du vivant. À l’oubli, j’ai préféré la mémoire. Chaque souvenir exprimé, même le plus douloureux, porte en lui une promesse de rédemption. Une chance, infime mais précieuse, de réécrire l’irrévocable, et de rendre justice aux héros oubliés. Si le silence a un pouvoir, la parole est sa seule révolte.
Je n’aurais jamais imaginé nuire à ce silence sous les projecteurs d’une émission de recherche.
Nous sommes le 25 février 2008. Là, dans quelques minutes, face à un présentateur impassible et un public suspendu à ses lèvres, je vais parler. Un passé, qu’on avait tenté d’enterrer, va devenir une histoire publique, projetée sur un écran géant. Une photo va apparaître. Une silhouette en uniforme. Une posture d’un autre temps.
Là, dans quelques minutes, sous ces lumières artificielles, je vais mettre des mots sur ce que personne dans ma famille n’a jamais osé évoquer au grand jour.
Parution : 20 août 2025 – Éditeur : JC Lattès – Pages : 272
« Le ciel est immense, maman, vais-je me perdre ? » écrit Adel à sa mère en 1967. Pilote d’exception, le jeune Irakien est envoyé par l’armée de l’air pour être formé en URSS, avant de disparaître en 1974, entre Bagdad et Krasnodar.
Trente ans plus tard, son neveu Taymour ne supporte plus le mystère qui entoure l’absence de cet oncle. Est-il vraiment mort en héros ? Sans relâche, Taymour va défier les silences d’une famille et d’un régime, jusqu’à s’inscrire à l’émission de recherche télévisée russe Zhdi Menya, « Attends-moi »…
Une fresque magistrale, un voyage dans les dédales d’un secret de famille, un roman pour faire revivre les disparus dans la mémoire intime et collective.
Ju lit les mots
– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Contributrice journal 20 minutes – Membre the funky geek club
Catégories :Premières Lignes...

Premières linges… Le Haut Mal de Pierre Léauté
Premières lignes… Le Verbe libre ou le silence de Fatou Diome
Premières lignes… Rentrée littéraire 2025 – Un jour ça finira mal de Valentin Gendrot
Premières lignes… Rentrée littéraire 2025 – Oû s’adosse le ciel de David Diop
Sympa de lire le début pour ce faire une idée
J’aimeAimé par 1 personne
J’aime bien faire cet article 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
ah ben, cool alors !
J’aimeAimé par 1 personne
Un début intrigant, même si à priori ce n’est pas mon genre de lecture. Bon week end
J’aimeAimé par 1 personne
🙂
J’aimeJ’aime
Un début intrigant, même si à priori ce n’est pas mon genre de lecture. Bon week end
J’aimeAimé par 1 personne
C’est assez particulier, mais j’ai apprécié ma lecture.
Bon dimanche Pat.
J’aimeAimé par 1 personne
Je remets mes bouées et tout l’attirail 😍 vais jamais m’en sortir. Punaise, ça donne envie. Merci à toi Julie 🙏😘
J’aimeAimé par 1 personne
Surtout les bouées 😅 merci à toi Lulu 🙂
J’aimeJ’aime
Je vais ressembler à un bibendum Michelin 😂
J’aimeAimé par 1 personne
😅
J’aimeAimé par 1 personne
😂
J’aimeAimé par 1 personne
Ces quelques lignes m’intriguent. Même je ne suis pas certaine que ce roman soit pour moi. Merci pour le partage Julie
J’aimeAimé par 1 personne
Je te confirme, le roman ne semble pas pour toi 😉 mais qui sait…
J’aimeAimé par 1 personne
😉
J’aimeJ’aime
Tellement hâte !
J’aimeAimé par 1 personne
🥰
J’aimeAimé par 1 personne
Intrigant… Je vais attendre ton retour pour me décider ! Merci pour cette découverte Julie !
J’aimeJ’aime
Avec plaisir Lilou 🙂
J’aimeAimé par 1 personne