Rentrée littéraire 2025 – La littérature comme rempart contre l’oubli – L’homme qui lisait des livres de Rachid Benzine


Quel est le crime de Gaza ?

Ici, la pluie ne purifie pas. Elle souille davantage. Elle noie les ruelles dans une boue épaisse, impitoyable, et efface les pas, dissout les traces des vivants et des morts. Elle s’insinue dans les fissures des murs et des cœurs, glaçant la maigre chaleur qui s’y accroche. Chaque larme tombée du ciel semble porter le poids d’une tristesse trop lourde pour ce monde, et pourtant, malgré tout, cette pluie laisse parfois échapper une beauté scandaleuse, là où elle s’attarde sur une vitre fêlée.

Dans ces éclats fugaces, Gaza ressemble à un bijou brisé, éclaboussé de misère et de lumière. Comme si Dieu lui-même, pris de remords, tentait d’offrir une dernière splendeur avant l’obscurité.


J’ai découvert la plume de Rachid Benzine, un peu par hasard, il y a quelques années. Je cherchais des lectures différentes qui donneraient la parole à des voix qu’on entend peu. Finalement, j’ai lu Dans les yeux du ciel, qui m’avait beaucoup touché et dans lequel j’avais retrouvé ces images et certaines références de mon enfance en Tunisie.

J’aime son engagement, sa simplicité, que ce soit, lors de la Grande librairie avec François Busnel à l’occasion de la sortie de « Voyage au bout de l’enfance » ou lors de son intervention avec Augustin Trapenard où il évoque l’importance du dialogue à l’école.

J’étais donc très heureuse de pouvoir découvrir son nouvel opus L’homme qui lisait des livres et je dois dire que je suis passée par une palette d’émotions, dont il est difficile de s’affranchir tout le long des lignes dont certaines resteront gravées dans ma mémoire.

L’auteur nous offre un livre émouvant, plus que jamais nécessaire dans ce monde déshumanisé, en perte de repères. Rachid Benzine donne une voix à ceux qui n’en n’ont plus, donne une dignité à ceux que l’on efface, humanise ceux qui sont vus comme quantité négligeable, redonne ses lettres de noblesse à la littérature, au pouvoir des mots qui viennent mettre un pansement sur les maux.

Au cœur des ruines de Gaza, il met en scène un libraire, Nabil Al Jaber, qui ouvre chaque jour sa librairie parmi les décombres. Plus qu’un simple roman, l’auteur nous offre un mode d’emploi face au chaos du monde, exprimé avec sobriété et humanité, à l’heure où les conflits font rage et où Gaza est étouffé, où un peuple se meurt…

Entre le photographe et le libraire, commence alors une odyssée intime et historique, durant laquelle, l’homme raconte son exode, la prison, les idéaux politiques en passant par les déceptions, tout en évoquant la vie de famille, les drames, les espoirs, il met en exergue les œuvres littéraires qui ont jalonné son existence et lui ont permis de tenir, d’aimer, comprendre et continuer à espérer. Chaque fragment de vie est ancré dans ces livres, comme autant d’archives vivantes de l’âme palestinienne.

Gaza est l’écho tragique qui façonne chaque mot du roman, soulignant la ténacité du libraire à maintenir sa librairie ouverte, dernier rempart contre l’oubli, contre l’effacement culturel. La littérature comme forme de résistance et d’empathie. A travers son personnage, Rachid Benzine, montre que les livres sont essentiels, grâce à eux, nous restons humains. Notre humanité se partage par la littérature, par le souffle de liberté qu’elle apporte.

Avec une plume pudique, tout en douceur, il nous murmure le silence face à l’injustice, l’incompréhension, dont les réponses se trouvent en chacun de nous, mais aussi en chaque livre que l’on peut lire. La lecture devient le symbole de la résistance face à l’injustice mais aussi face à l’oubli. Elle reconstruit lorsque le chaos a tout dévasté. Elle ancre l’humain dans une réalité salvatrice, empathique où chacun a sa place. Certes, il est question, en toile de fond de Gaza, mais le sujet peut être transposé à travers le monde, dans chaque pays où l’extrême droite grignote peu à peu nos raisonnements, notre humanité.

La résistance, la lutte contre les injustices, le refus de l’oubli, le refus de l’effacement d’un peuple sont autant de sujets abordés en filigrane et qui ne peuvent que nous toucher, pour peu que notre humanité soit toujours là !

Dans un monde où la guerre défait tout, l’auteur rappel que la littérature peut réhabiliter l’humanité et qu’elle joue un rôle de transmission de valeurs humanistes universelles et que l’Homme, avant que le devoir de mémoire ne soit là, doit pouvoir faire quelque chose. Nabil Al Jaber devient un phare dans la nuit, un emblème de résilience et de résistance, un symbole de liberté, et c’est lui, malgré les tragédies, qui nous donne un souffle d’espoir, nous appel à voir et à ressentir profondément, au-delà des images et des conflits. Il nous pousse à écouter l’Histoire du peuple palestinien au cœur de Gaza sous les décombres. Mais il nous pousse aussi à réfléchir à nos prismes, nos valeurs, et redonne cet espoir en l’humain que nous avons du mal parfois à retrouver, trop englués dans nos quotidiens et notre individualisme.

L’homme qui lisait des livres est un souffle sobre et puissant d’un humanisme en ruine, où la littérature demeure le dernier rempart contre le mal, l’ignorance et l’oubli.

À l’heure où l’actualité nous arrache les mots, Rachid Benzine nous offre, un plaidoyer sur la littérature, sur la survie, sur la vie, la mort et l’amour des autres, un acte de survie au coeur de l’effacement.

On ne ressort pas indemne de cette lecture, qui m’a profondément touchée et dont chaque mot résonne. Un livre militant, une déflagration dans ce monde où le silence est assourdissant. Je pourrais vous en parler des heures, vous dire ce que j’ai aimé, ce qui m’a touché, mais je n’ai pas le talent de l’auteur et sincèrement il faut vivre cette expérience de lecture pour la ressentir dans ses tripes.

C’est un récit, à la fois pudique et bouleversant, un rappel que l’humanité n’est pas un vain mot et que la littérature peut reconstruire, même dans les cendres et que le peuple palestinien sera toujours vivant.

Je remercie les éditions Julliard et Netgalley pour leur confiance.

Extraits :

On est toujours là. Des fantômes, chaque jour un peu plus invisibles aux autres. Et à nous-mêmes. Comme nous le sommes aux yeux du monde depuis toujours.

Les mots des livres déchirent tous les silences. Ils s’imposent à vous. Le lecteur est un prisonnier consentant, attaché à l’illusion que chaque page tournée le libérera. Pourtant, il se perd toujours plus,absorbé, jusqu’à être incapable de se détacher de ce labyrinthe de mots.

On est toujours là. Des fantômes, chaque jour un peu plus invisibles aux autres. Et à nous-mêmes. Comme nous le sommes aux yeux du monde depuis toujours.

Gaza est une ville en réécriture permanente. Chacun y va de son inspiration, de ses points de suspension. Tous redoutent l’instant de ce geste qui ne leur appartiendrait plus, le point final.


Parution : 21 août 2025 – Éditeur : Julliard – Pages : 128 – Genre : littérature française, Palestine, Gaza, littérature

Entre les ruines fumantes de Gaza et les pages jaunies des livres, un vieil homme attend. Il attend quoi ? Peut-être que quelqu’un s’arrête enfin pour écouter. Car les livres qu’il tient entre ses mains ne sont pas que des objets – ils sont les fragments d’une vie, les éclats d’une mémoire, les cicatrices d’un peuple.
Quand un jeune photographe français pointe son objectif vers ce vieillard entouré de livres, il ignore qu’il s’apprête à traverser le miroir. » N’y a-t-il pas derrière tout regard une histoire ? Celle d’une vie. Celle de tout un peuple, parfois « , murmure le libraire. Commence alors l’odyssée palestinienne d’un homme qui a choisi les mots comme refuge, résistance et patrie.
De l’exode à la prison, des engagements à la désillusion politique, du théâtre aux amours, des enfants qu’on voit grandir et vivre, aux drames qui vous arrachent ceux que vous aimez, sa voix nous guide à travers les labyrinthes de l’Histoire et de l’intime. Dans un monde où les bombes tentent d’avoir le dernier mot, il nous rappelle que les livres sont notre plus grande chance de survie – non pour fuir le réel, mais pour l’habiter pleinement. Comme si, au milieu du chaos, un homme qui lit était la plus radicale des révolutions.


Ju lit Les Mots
Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Membre the funky geek club – Contributrice journal 20 minutes



Catégories :Contemporain, Historique, Julliard, Littérature française

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35 réponses

  1. Oh… je vois pourquoi tu tenais à me le faire noter… peut-être à distribuer à certains dirigeants politiques…

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  2. Waouh , quelle chronique !

    Un livre incontournable de cette rentrée littéraire !

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  3. libraire à Gaza ! rien que pour cela j’ai envie de lire ce livre.

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  4. Je l’avais repéré pour la rentrée littéraire avec le club de lecture de ma librairie, j’espère qu’il sera choisi pour que je puisse le découvrir. J’aime l’idée de cette sensibilité vu les thèmes.

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  5. Quelle superbe chronique ma Julie ❤️ toute en émotion et en sensibilité, avec une belle analyse de ce texte qui semble poignant. Les extraits donnent une idée de la magnifique plume et du style de l’auteur que tu nous décris. Tes mots sont une invitation à découvrir ce roman ! Merci 🙏🏻😘

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  6. Repéré grâce à toi depuis un petit moment… mais ta chronique si sensible, émouvante et parfaitement argumentée augmente encore cette envie de lecture. Merci à toi, tu m’as vraiment émue. Je vais essayer de le lire très vite ! 🙂

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  7. Je l’avais repéré sur NetGalley, sans trop oser en faire la demande. Mais tes mots sont tellement touchants, tellement bien choisis, que je n’ai aucune envie de passer à coté.

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  8. Génial, j’avais envie de le lire, tu me confortes dans mon choix !

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  9. Quel beau billet ! Tu en parles très bien, j’aime particulièrement la manière dont tu soulignes la résonance universelle de ce roman !

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  10. Une lecture qui t’a beaucoup touchée, ta chronique est très belle Julie !

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  11. J’espère avoir l’occasion de le lire. Ta chronique donne envie de le découvrir.

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  12. Les livres malheureusement me change pas le monde mais ils nous aident à le regarder autrement….

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  13. Coucou ! Merci pour cette reco, j’étais passée à côté. Tant de choses à lire ❤

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