Premières lignes… Rentrée littéraire 2025 – Un jour ça finira mal de Valentin Gendrot

Un jeudi de février, mon cousin a tué sa femme. Elle l’avait quitté et lui avait compris qu’elle ne reviendrait pas. Il l’a attendue, sur le palier de son nouvel appartement, une batte de base-ball dans les mains. Le second coup, fatal, c’était pour s’assurer de son décès. Elle a été retrouvée cinq semaines plus tard, enterrée dans une forêt, recouverte de chaux vive, à deux kilomètres à peine de leur ancien domicile.

Au moment où il avoue le féminicide avec préméditation, je suis en retard pour dîner chez des amis, un ralentissement sur la ligne 5 du métro parisien. La notification de BFM s’affiche sur l’écran d’accueil de mon téléphone portable. J’ai le temps de lire « batte de base-ball » avant de glisser le smartphone dans le fond de ma poche. J’aurais pu y jeter un coup d’œil distrait dans le journal ou devant les chaînes d’info en continu, comme le lecteur ou le téléspectateur suivrait une telle actualité macabre. Pas cette fois. Magali et Jérôme, je les connaissais bien. Jérôme est le fils cadet de ma tante, la sœur de mon père. Jérôme est mon cousin, un cousin germain devenu, dans le froid verglacé, un meurtrier. Ce livre n’est pas seulement l’histoire d’un homme qui tue sa femme. Après son crime, Jérôme s’est suicidé en prison. Le jour de la Toussaint. Ses parents, complices du meurtre et incarcérés, ont mis fin à leurs jours un an et demi plus tard. Dix ans plus tôt, Franck, leur fils aîné, s’était lui aussi tiré un coup de fusil en pleine tête, sa femme demandait le divorce. Les parents, les deux enfants, quatre suicides en douze ans. Ce livre est l’histoire de ces coupables qui ne seront jamais jugés, de ce clan, cette famille, la branche pourrie de mon arbre généalogique.

La mort rôde, omniprésente. Je le concède, il ne s’agit sans doute pas de la meilleure phrase pour commencer un livre. Et puis, elle se révèle inexacte car, au fond, personne dans cette histoire n’est décédé depuis bien longtemps. Une goutte de sueur perle sur ma nuque, au moment où j’actionne le verrouillage centralisé de ma vieille voiture. L’air est vicié. L’ambiance glauque, pesante, une chape de plomb à quelques mètres au-dessus de ma tête, que ne dévore pas encore la végétation devenue galopante. Deux ans plus tôt, les quatre enfants de Magali et Jérôme jouaient là, dans la cour, la balançoire vide symbolise cette présence. Aux portes, des scellés empêchent le curieux de pénétrer dans la maison et les hangars attenants, certains, fracturés, indiquent néanmoins l’appétit voyeur de visiteurs du soir et de cambrioleurs nocturnes. Le camion blanc de Jérôme, aux portes arrière retenues de l’intérieur par un tendeur, bloque l’accès à l’une des ouvertures. Son habitacle est jonché de détritus poussiéreux, une odeur de pourriture s’en dégage. Autour, des champs, des haies bocagères, une rangée de châtaigniers camoufle les toits du manoir voisin qu’il voulait acheter. Jérôme et ses rêves de grandeur, une énième phrase lancée sans qu’elle retombe jamais sur le sol du concret. Le silence règne, rompu seulement par les soubresauts d’un tracteur ou d’un engin agricole non identifié. Pour venir, j’ai allumé le GPS, impossible de me souvenir du chemin, je ne l’avais plus parcouru depuis huit, dix ans, du temps où je les côtoyais encore. Pour accéder à la maison, le navigateur indiquait cette nationale au bitume récent, l’ancienne route de Montauban-de-Bretagne à Saint-Méen-le-Grand – on prononce Saint-Main –, puis, peu avant le restaurant ouvrier de La Ville Codet, de tourner à gauche. Rouler un peu, pas bien longtemps, franchir le pont et prendre la première à droite. Vous êtes arrivés à Bourrien. Le royaume des hommes de la famille. Jérôme. Jean, son père, Célestin, son grand-père, avant lui. Un cul-de-sac. Une impasse. Dans le virage, la maison principale, façade en terre paillée, l’ancienne ferme du clan. Au fond à droite, une autre, plus petite, enfin, à gauche, une dernière, encore.

Ma voiture est stationnée devant la vieille longère. Je ne vais pas rester longtemps. La mort rôde, omniprésente. Jean et Monique, les parents, Franck et Jérôme, leurs enfants, tous ont vécu ici avant de mettre fin à leurs jours. Jérôme a tué Magali. Ces visages appartiennent aux lieux, des figures indélébiles. Éviter les additions d’horreurs, un conseil de mon éditrice. Je le note, promets d’essayer. La tâche s’avère ardue, pourtant. Je parcours quelques mètres dans la cour, mène un examen attentif, pense aux travaux d’entretien à entreprendre le jour venu, quand cette maison sera vendue. Le sourire et les cheveux blonds de Magali m’apparaissent en songe.

La dernière fois, elle marchait dans la cour, sans doute allait-elle jardiner ou nourrir Fidji, le poney. Elle souriait, c’était en 2014, je m’en souviens bien maintenant, ma mémoire parfois poreuse se remplit de certitudes. À cette époque, et comme depuis leur arrivée, Jérôme règne en maître des lieux. Sur le seuil de la porte d’entrée, il se passe une main dans les cheveux. Un temps, j’ai pensé à cette phrase pour démarrer ce chapitre, elle semble plus convenable. Une bonne entrée en matière pour décrire ce mouvement ordinaire de bas en haut. Lui, c’est un James Dean des champs, quoique plus grand, plus charpenté que l’acteur américain. C’est un beau mec, et il le sait. Regardez-moi. Il paraît sûr de lui et de son charme. Son jean est serré, ses jambes fuselées. Le jean est bleu, la ceinture en cuir marron. La même couleur, la même matière pour les santiags. Le look détonne, dans le village, personne ne s’habille ainsi. En haut, peu importe, son torse glabre l’empêche de dévoiler tout signal faible de virilité. Le plus important, c’est qu’il puisse faire rouler son cul, ce cul bien moulé dans son froc. Il parle fort, plus fort que le monde environnant, que ses parents, peu habitués à de telles effusions sonores. Il se vante, veut exister aux yeux des autres. Un jour, j’écrirai un livre là-dessus. Il prononce cette phrase après un bon mot, une vanne bien sentie, il pourrait aussi la lancer après une anecdote, une idée pour un roman qui, bien sûr, ne verrait jamais le commencement d’un début.


Parution : 03/09/2025 – Éditeur : Stock – Pages : 320

« Un jeudi de février, Jérôme a tué sa femme. Elle l’avait quitté et ne reviendrait pas. Il l’a attendue, sur le palier de son nouvel appartement, une batte de base-ball dans les mains. Le second coup fatal, c’était pour s’assurer de son décès. Elle a été retrouvée cinq semaines plus tard, enterrée dans une forêt, recouverte de chaux vive. Au moment où il avoue le féminicide avec préméditation, je suis en retard pour dîner chez des amis. Une notification de BFM s’affiche sur l’écran de mon téléphone portable. J’ai le temps de lire “batte de base-ball” avant de glisser le smartphone dans le fond de ma poche. Magali et Jérôme, je les connaissais bien. Jérôme est mon cousin, un cousin germain devenu, dans le froid verglacé, un meurtrier.
Ce livre n’est pas seulement l’histoire d’un homme qui tue sa femme. Le jour de la Toussaint, Jérôme s’est suicidé en prison. Ses parents, complices du meurtre et incarcérés, ont eux aussi mis fin à leurs jours un an et demi plus tard.
Ce livre est l’histoire de ces coupables qui ne seront jamais jugés, de la reproduction des violences conjugales dans cette famille, la branche pourrie de mon arbre généalogique. »


Ju lit les mots

– Blog littéraire – Critiques littéraires – Co-fondatrice Prix des auteurs inconnus – Membre the funky geek club



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7 réponses

  1. Waouh ! Quel début ! En plus, c’est ce journaliste spécialiste de l’infiltration qui a écrit celui-ci. Je résiste tant de nombreux livres m’attendent, mais jusqu’à quand ? 😉

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  2. C’est sacrément prenant, on a envie de connaître la suite… Je note même si ma PAL est archi blindée, un peu comme tout le monde en cette rentrée littéraire 😉 bon weekend Julie 🙂

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  3. Tu m’as mis l’eau à la bouche, je ne vais pas tarder à craquer quand il croisera mon chemin. Bonne soirée

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  1. Bilan lectures Août 2025 – Ju lit Les Mots

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