Pourquoi ces deux vieillards, venus l’un de Chine et l’autre d’Israël, ont-ils décidé de se recueillir ensemble sur cette mystérieuse tombe chinoise d’un cimetière militaire picard de la Première Guerre mondiale ? Pour le commandant Dalmate, la présence de ces personnages sur le territoire national n’augure rien de bon. En effet, ils sont, chacun dans leur pays, à la tête d’organisations criminelles dont les ramifications s’étendent jusqu’en France.
Or, depuis peu, les règlements de comptes entre ces communautés s’intensifient ; une escalade de violence qui semble échapper au contrôle des forces de l’ordre. Mais le monde ne date pas d’aujourd’hui, et c’est peut-être dans le passé que se trouvent les réponses capables d’apaiser les esprits. Dans des amitiés nées il y a bien longtemps, au cœur des tranchées…

Les éditions Fleuve proposent le prologue qui pourrait bien vous donner envie…
La tête du flic cognait contre la paroi métallique de la camionnette à chaque cahot. Le commandant de police Paul Dalmate ne voyait plus que d’un œil. Les paupières de l’autre, tuméfiées par les coups reçus, restaient soudées. Il respirait avec difficulté, sans doute à cause de son nez cassé et des caillots de sang qui ne laissaient filtrer qu’un filet d’air. Il remua lentement ses mains qui n’étaient pas attachées.
À quoi bon l’entraver alors qu’il pouvait à peine bouger ? Il pria en silence. Il s’adressait à Dieu de manière simple et directe, comme à un ami. Il le faisait depuis près de trente ans, dont dix passés au séminaire qu’il avait quitté avant d’être définitivement ordonné prêtre.
Sa vie s’arrêterait bientôt, mais il ne regrettait rien. Aucune famille ne le pleurerait, sa mère était décédée des années plus tôt, son père n’existait plus pour lui, et il était fils unique. Marié quelques mois, son couple avait rapidement pris l’eau. Dalmate était un solitaire, mais il aurait préféré ne pas l’être. À cet instant, il se souvint d’une phrase lue ou entendue quelque part : « Un homme seul est un homme mal accompagné. » Il était trop tard pour réfléchir à la justesse ou pas de cette affirmation et rectifier le sens de sa vie.
Après l’assassinat de Dalmate, le ministre de l’Intérieur, costume sombre et mine de circonstance, prononcera une allocution solennelle avec des mots mille fois usités, mais c’est le parcours obligé du politique placé sous l’œil des caméras. Pendant vingt-quatre heures, les chaînes d’info en continu feront blablater des experts et des syndicalistes avec des mines graves, et des discours convenus sur fond d’images d’archives tourneront en boucle, gros plans sur les flics en intervention, gyrophares, etc. Ses collègues les plus proches seront en colère, bouleversés. Ils chercheront les auteurs du crime.
Une salle secondaire de réunion de la préfecture de Police portera son nom qui ne dira plus rien à personne dans quelques années. Au mieux, une promotion d’officiers de police sera baptisée « Paul Dalmate ». Si Dalmate avait eu son mot à dire, il aurait envoyé balader tout le monde. Puis un visage féminin s’imposa à lui, télescopant ses réflexions. Il se dit qu’il ne saurait jamais si la jeune femme avec laquelle il prenait plaisir à partager quelques discussions serait allée au-delà de leurs phrases échangées. C’était son seul regret.
Soudain, le violent coup de pied qu’il reçut dans les côtes le coupa net dans ses pensées et lui apprit deux choses : la première qu’il avait aussi des côtes cassées, et la seconde que les mecs n’en avaient jamais assez. Après quelques minutes à souffrir le martyre, il put lentement reprendre un souffle partiel. Mais la lumière puissante d’une lampe torche braquée à cinq centimètres de son œil valide lui causa une nouvelle douleur si aiguë qu’il lui sembla qu’une aiguille transperçait le cristallin jusqu’au cerveau. Son tortionnaire l’invectiva :
— Réveille-toi, connard. T’arrives au bout du chemin. Dis-toi que tu l’as bien méritée, la balle qui va te traverser la tête.
Paul Dalmate connaissait les quatre types. Il les traquait depuis plusieurs mois. À visage découvert, ils avaient intercepté le policier qui rentrait chez lui vers minuit, après une séance de cinéma et un repas dans une brasserie. Rituel d’un samedi soir qui bouclait une semaine éprouvante. Ce soir-là, Dalmate avait pris le métro et finissait à pied les dernières centaines de mètres qui le séparaient de son domicile. Il habitait une maison dans le 19e arrondissement de Paris, quartier Amérique, villa Eugène-Leblanc. Une rue étroite en légère montée, sans voitures, bordée de part et d’autre de petites maisons agrémentées d’arbres et de glycines. À l’occasion d’une enquête passée, il s’était immergé dans ce lieu aux allures de village et avait eu un coup de foudre pour une maison dont un panneau indiquait justement qu’elle était à vendre. Un mois plus tard, l’ensemble de ses économies et un crédit de vingt ans sur la table, il signait chez un notaire.
La pluie l’avait surpris en sortant du métro et le policier, en hâtant le pas, avait commis trois erreurs. La première, d’écouter de la musique. Le casque de l’iPod sur ses oreilles masquait tous les bruits de la rue. Le blues de John Lee Hooker transportait Dalmate à La Nouvelle-Orléans. La seconde, d’avancer tête baissée pour se protéger de l’averse. Il n’avait pas remarqué le fourgon Renault blanc stationné en double file rue de la Mouzaïa, devant l’entrée de la villa Eugène-Leblanc. Quand il s’était engagé dans la ruelle, il était tombé nez à nez avec ses agresseurs et n’avait pas eu le temps d’esquisser le moindre geste de défense, ses mains enfoncées dans les poches de son caban. Ce fut là sa troisième erreur. Le coup de batte de base-ball qu’il avait reçu en plein visage lui avait explosé le nez et démonté la mâchoire. La violence des coups de poing et de pied l’avait assommé.
Le policier avait été soulevé de terre et propulsé dans la camionnette où le cassage de gueule méthodique s’était poursuivi. À demi inconscient, Dalmate, le visage plaqué sur le plancher avait tout de même reconnu une odeur, celle du pain. Il s’était dit qu’un boulanger à qui on avait tiré son fourgon le retrouverait cramé dans quelques jours. Pas de bol pour l’artisan.
Le policier avait tout de suite compris l’issue du passage à tabac. La mort. Sinon les mecs auraient mis des cagoules, l’auraient massacré et jeté dans une quelconque ruelle. Vivant. Amoché, mais vivant. Ni vu ni connu. Tandis que là, ils opéraient à visage découvert sans précautions. Dalmate se racla la gorge. Il parlait avec difficulté, mais curieusement il était très calme. Le calme du fatalisme, de l’ultime, quand n sait qu’il n’y a plus rien à faire, que l’on ne peut qu’accepter l’inéluctable.
— Tu sais ce qui m’agace le plus, Rudy ? C’est d’être flingué par le pire crétin que j’aie jamais connu !
Rudy Meïr, stupéfait par la sortie de Dalmate, dévisagea tour à tour les deux autres hommes, Michael Cohen et Jérémy Abitbol, qui gardaient un silence embarrassé. Ils firent mine de ne pas avoir entendu. Pendant quelques instants, le bruit du moteur de la camionnette que conduisait Marc, le frère de Michael, sembla être le seul point d’intérêt des trois types. Puis Jérémy Abitbol, sans doute le plus intelligent de tous, consulta sa montre et rompit un silence qui s’éternisait trop :
— Rudy, dans une demi-heure on sera sur le chemin du retour. Tu lui colles une balle dans la tronche, on rentre, on prend un verre et on pense à demain. D’accord ?
Rudy ne répondit pas, saisit son pistolet, un Glock 9 mm qu’il avait l’habitude de bloquer contre sa hanche avec la ceinture de son pantalon, et le colla sur la tête de Dalmate qui continuait de le dévisager, de son seul œil valide. Abitbol intervint à nouveau :
— Rudy, pas ici. Imagine qu’on se prenne un contrôle de police ! Avec tout le bordel du terrorisme, les flics sont chauds bouillants en ce moment, ils flippent comme des malades. S’ils ouvrent la camionnette, qu’ils sentent la poudre, aperçoivent du sang et des morceaux de cervelle, on est mort. Direction le placard pour perpète. Pas de
pitié pour les assassins, et j’te raconte même pas quand ils découvriront que c’est un des leurs qu’on a buté. Alors que demain, tranquille, on va à cent bornes de Paris et on crame la caisse.
— Tu vois bien que tu es un gros con, Rudy, tes mecs doivent même t’expliquer les fondamentaux, lâcha dans un murmure Dalmate. Au fait, on est samedi, vous ne respectez pas le shabbat ? Le repos, c’est sacré ou je me trompe ? Pourtant à la PJ on a tout un lot de photos de vous quatre, kippa sur le crâne, devant la synagogue.
— Ferme-la, Dalmate, cracha Abitbol en posant la main sur la jambe de Rudy qui était prêt à dévisser la tête du policier. Bientôt, tu rejoindras le paradis de ton Dieu et nous, dans une heure, on boira un coup et on se tapera de belles putes. À chacun son paradis.
Le fourgon quitta une route goudronnée pour s’engager sur un chemin défoncé, creusé d’ornières. Le véhicule zigzaguait, sans doute pour contourner des trous plus importants. Ses tortionnaires ne parlaient plus, occupés à se cramponner pour éviter d’être trop secoués. Enfin, après un temps qui parut infini à Dalmate, la camionnette s’arrêta. Il fut soulagé de ne plus subir les cahots qui lui arrachaient des gémissements de douleur. Quelques secondes plus tard, les frères Cohen le sortirent du véhicule et le jetèrent au sol. Dalmate atterrit dans un hurlement. Il ne voyait plus rien, respirait faiblement, perçut tout juste une odeur qu’il adorait, celle de la terre mouillée après la pluie. Il se concentra sur le bruit du vent qui traversait les branches d’arbres et arrachait les feuilles. Le compara à celui des vagues. Il devait être dans une forêt à une ou deux heures de Paris, peut-être plus. Il n’aurait su dire.
Malgré le moment critique, il ressentit une sorte d’apaisement à l’idée de mourir dans la nature, et non pas achevé au fond d’une cave pourrie ou dans un quelconque endroit sordide. Paul Dalmate se détachait de son corps, sachant que son âme allait s’élever. Il préférait qu’elle voyage parmi les arbres, au-dessus de la forêt, avant de rejoindre sa destination. C’était donc en homme serein, qui sait être
au bout de son voyage terrestre, qu’il attendit la mort.
— Rudy, à toi de jouer, ordonna Abitbol.
Les frères Cohen, Marc et Michael à l’état civil, Marco et Mika entre eux, essuyaient en râlant leurs chaussures couvertes de boue. Fabriquées sur-mesure par un bottier italien renommé de la rue Marbeuf, une rue perpendiculaire aux Champs-Élysées, elles valaient plus de huit mille euros la paire. Abitbol posa un jerrycan de vingt litres d’essence à côté de Dalmate. Une fois celui-ci flingué, il cramerait son cadavre. Il consulta pour la dixième fois sa montre de luxe en platine. Il ne savait plus s’il la regardait pour savoir l’heure ou pour l’admirer.
Rudy colla le 9 mm sur l’oreille droite du policier qui priait à voix basse, se concentrant sur le souffle du vent qui brassait les branches des arbres. Il voulait emporter avec lui le murmure de la nature plutôt que les âneries proférées par les tueurs. Il se remémora également une phrase de la Genèse : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. » La détonation fut assourdissante. Des animaux détalèrent, d’autres s’envolèrent.
Parution : 5 janvier 2023 – Éditeur : Fleuve – Pages : 592 – Genre : polar, thriller, thriller psychologique, historique
Catégories :Premières Lignes...
Une entrée en matière qui a du chien.
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Oui ! Franchement on ne s’ennui pas du tout 😉
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Dans ma PAL 😘
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J’ai hâte de lire ton retour 🥰😘
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Heu hâte,soit plutôt patiente ma Julie 😋😘
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Ah mais quand je dis hâte, je sais que je dois patienter quelques semaines, voir mois 😉 :-p
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Ah tu me rassure là ma Julie ! hihi ;-P
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😘
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