S’adapter de Clara Dupont-Monod

Avoir un enfant lourdement handicapé, c’est très lourd pour les parents, très lourd pour la famille, et cela exige certainement de « s’adapter » à l’extrême pour assumer ce fardeau. Avec un coût pour sa fratrie, toujours : oubli de soi, transgression… voire, pour un enfant né après la mort de son frère handicapé, sensibilité hors norme à l’invisible. « Un blessé, une frondeuse, un inadapté et un sorcier », disent les parents de leurs enfants. Et la famille elle-même doit reconsidérer son organisation autour de ce point fixe qu’est l’enfant qui ne pourra jamais s’adapter : d’ailleurs, « la majorité des parents se séparent », même si ce n’est pas le cas dans le roman.⠀ ⠀

Pourtant, côtoyer quelqu’un au handicap mental aussi profond est aussi une richesse, qu’on ne dit pas assez : une telle personne nous aide, parce qu’en s’adaptant à elle, on est contraint de changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde, ce qui apprend à s’oublier et à n’être attentif qu’aux signaux ténus qu’envoie l’autre.

Alors peut-être est-ce « un bonheur qu’on ne souhaite à personne », pour reprendre le titre du livre d’un acteur célèbre et personnellement concerné.

Mais en littérature, cela permet aussi une formidable métaphore de ce qui fait société : vivre avec les autres, quels qu’ils soient et quelles que soient leurs difficultés, c’est apprendre à se mettre de côté pour être attentif à leur demande.

Or, nous savons tous bien que c’est facile à dire, mais si difficile à faire, si difficile simplement à voir… et un livre comme celui de Clara Dupont-Monod grossit à la loupe ce qui se passe quand s’adapter n’est pas une option, mais une nécessité.⠀ ⠀

Je vous engage vraiment à vous plonger dans ce très beau roman, qui vous emmènera aussi – ce n’est pas la moindre de ses qualités – au cœur de la montagne des Cévennes.

Parution : 25 août 2021 – Éditeur ‏ : ‎ Stock – Pages : 200 – Genre : handicape, témoignage, psychologie, fratrie

C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire. Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l’amour fou de l’aîné qui protège, de la cadette révoltée qui rejettera le chagrin pour sauver la famille à la dérive. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.



Catégories :Les avis de Marceline Bodier

10 réponses

  1. Un roman qui fera date car le handicap mental a trouvé sa place, sa juste place, dans la fiction ! Oui, il faut vraiment le découvrir, tout à fait d’accord ! 😉

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  2. Pas encore lu, et pourtant, je l’ai noté dans mes impératifs à lire au plus vite !! Je suis moins rapide que l’administration, c’est te dire 😆

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